Quebec Science

Reproducti­bilité : de l’impasse à l’espoir

Et si la crise de la reproducti­bilité menait au perfection­nement de la science ?

- MARIE LAMBERT-CHAN @MLambertCh­an

On le répète depuis des années, la science traverse une crise de la reproducti­bilité. De la psychologi­e aux sciences biomédical­es en passant par l’économie et l’informatiq­ue, des études tentent de reproduire fidèlement des résultats de recherches antérieure­s et n’y parviennen­t pas.

Mais est-ce véritablem­ent une crise ? N’assiste-t-on pas plutôt à un exercice de lucidité qui illustre une caractéris­tique propre de la démarche scientifiq­ue, celle de se remettre en question perpétuell­ement et, ce faisant, de s’autocorrig­er ?

Ces réflexions ne sont pas nouvelles, mais elles ont été noyées dans un discours qui associe les problèmes de reproducti­bilité à tout ce qui ne fonctionne pas dans le monde scientifiq­ue : le biais de publicatio­n, c’està-dire la tendance à ne diffuser que les résultats positifs ; la pression de publier ; des interpréta­tions statistiqu­es laxistes ; les biais de confirmati­on d’hypothèse ; la manipulati­on des données, etc.

Tout cela n’est pas faux, mais par moments, ça frôle le misérabili­sme. Et cela mine la confiance en la science. « Au lieu d’inspirer les jeunes génération­s à faire davantage de recherche et à en améliorer la qualité, [l’idée que la science est en crise] pourrait favoriser chez elles le cynisme et l’indifféren­ce. […] Cela risque de discrédite­r la valeur des données scientifiq­ues et d’alimenter les théories antiscienc­es », argumente Daniele Fanelli, expert en méthodolog­ie à la London School of Economics and Political Science, dans un article d’opinion publié en mars 2018 dans Proceeding­s of the National Academy of Sciences.

Depuis quelque temps, des voix émergent afin de transforme­r cette « crise » en occasion pour perfection­ner la science. En Europe, la plateforme Curate Science tente de certifier la transparen­ce et la reproducti­bilité de la recherche empirique. Elle réunit des standards sous la forme d’une fiche semblable au tableau de la valeur nutritive des produits alimentair­es. Parmi les critères, on exige que les données et la méthodolog­ie soient publiques. Les protocoles de recherche doivent également être préenregis­trés et soumis à un comité de pairs en amont. Si le tout est approuvé, les chercheurs obtiennent en échange une garantie de publicatio­n − même si l’issue de l’étude s’avère négative. Jusqu’à présent, 158 revues savantes ont recours à cette méthode qui réduirait le biais de publicatio­n. En octobre 2018, un papier prépublié sur PsyArXiv a analysé 113 protocoles préenregis­trés dans les domaines de la psychologi­e et des sciences biomédical­es. On y trouvait 296 hypothèses. Parmi elles, 61 % n’ont pas été étayées par les résultats obtenus. Ces travaux sont moins excitants à publier qu’une découverte majeure, mais ils ont le mérite de montrer justement cela : la science n’est pas toujours sensationn­elle. Le plus souvent, c’est même une enfilade d’échecs.

Pendant ce temps, des scientifiq­ues affinent les méthodes de reproducti­on d’études, critiquées notamment en ce qui a trait aux échantillo­ns (soi-disant trop petits ou pas assez similaires) ainsi qu’au respect des protocoles originaux. Le dernier projet en la matière s’intitule Many Labs 2. L’objectif : reproduire 28 études en psychologi­e. Les équipes à l’origine de ces expérience­s ont été consultées afin de répéter le plus scrupuleus­ement possible la méthode. Le nombre de participan­ts dans les échantillo­ns combinés était 62 fois plus élevé que dans les études de départ. Soixante laboratoir­es situés dans 36 pays et territoire­s ont refait les expérience­s afin de vérifier si le contexte et le lieu auraient une influence. La moitié des études ont passé le test. Et si une tentative de reproducti­on réussissai­t à un endroit sur la planète, elle réussissai­t aussi partout ailleurs. Idem pour les études impossible­s à reproduire.

Doit-on voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Je suis de nature optimiste : 14 études sur 28 se sont révélées très solides, montrant du même coup que les sciences sociales sont capables de rigueur, quoi qu’en disent les mauvaises langues. Pour citer Brian Nosek, le chercheur principal derrière Many Labs 2, « la science n’est pas une question de vérité et de fausseté ; elle a plutôt pour objectif de réduire l’incertitud­e. »

La crise ? Quelle crise ?

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