Quebec Science

Le patient a « toujours » raison

- ALEXANDRA S. ARBOUR

L’histoire se déroule il y a environ cinq ans. Je suis alors étudiante en médecine, en stage d’hématologi­e. J’entre dans la chambre d’un patient atteint d’une grave anémie auto-immune : son système immunitair­e attaque indûment ses globules rouges et lui cause ainsi une fatigue extrême et des douleurs thoracique­s, comme s’il faisait plusieurs fois par jour une « petite » crise cardiaque. Je m’approche de lui, un peu à reculons. « Et puis ? À combien sont mes globules rouges ? me demandet-il, tout sourire. Je me sens comme si j’avais 80 d’hémoglobin­e ! » Ma réponse : son taux est de 56 grammes par litre de sang, la normale étant au-delà de 140. Déception. Je réconforte le patient, promets d’adapter son traitement, d’envisager une transfusio­n. Il acquiesce, dépité. Comme tout patient atteint d’une maladie rare, il est devenu un spécialist­e de son état de santé.

Quelques heures plus tard, je reçois une note du laboratoir­e m’avisant qu’il y a erreur. Le taux d’hémoglobin­e de mon patient est bel et bien de 81 aujourd’hui ! Je retourne à sa chambre, triomphant­e : « Vous aviez raison ! » Je me rappelle avoir bien rigolé avec lui. Je repenserai souvent à ce patient pendant ma résidence effectuée pour devenir interniste en gériatrie − un médecin spécialist­e des soins aux personnes de 65 ans et plus. Se pourrait-il que, pour paraphrase­r le monde de la vente au détail, le patient ait « toujours » raison ?

« N’oubliez jamais de demander au patient ce qu’il pense avoir », nous répétaient ad nauseam nos professeur­s. Je me souviens de m’être bêtement demandé comment un patient pouvait bien en savoir plus que moi, qui sacrifiais tant d’heures de sommeil au profit de l’étude. Le temps a passé et, même si je n’ai que quatre ans de résidence derrière la cravate, je me suis rapidement rendu compte que c’était, de loin, la question la plus importante.

Je remarque que, trop souvent, certains médecins omettent de considérer le savoir expérienti­el de leurs patients, se fiant uniquement à leurs connaissan­ces scientifiq­ues pour formuler un diagnostic. Risqueraie­nt-ils ainsi de commettre davantage d’erreurs médicales ? C’est du moins ce que conclut une étude publiée en novembre 2018 dans le journal Health Affairs.

Le Dr William Osler, un pionnier de la pédagogie médicale, l’enseignait déjà au début du 20e siècle : « Écoutez votre patient, c’est lui qui vous donnera le diagnostic. » Cet éminent médecin canadien, ancien professeur à l’Université McGill et fondateur de la prestigieu­se faculté de médecine de l’Université Johns Hopkins aux ÉtatsUnis, vivait cependant à une époque bien différente. Ses patients ne passaient pas des heures sur Internet à tenter d’établir un diagnostic des pires maladies susceptibl­es de les affliger !

Avec la crise de confiance qui touche la profession médicale, peutêtre que l’heure est venue de se remettre en mémoire les conseils du bon Dr Osler au lieu de ne jurer que par les essais randomisés contrôlés. Des voix s’élèvent d’ailleurs en ce sens, jusque dans les pages du New England Journal of Medicine, pour mettre de l’avant un nouveau modèle de diagnostic : une médecine personnali­sée où les données probantes sont interprété­es à la lumière des nuances de chaque patient.

C’est ainsi que je souhaite amorcer ma relation médecin-lecteur avec vous. Je me propose d’être vos yeux et vos oreilles à l’hôpital. En échange, la prochaine fois que vous serez dans le cabinet du médecin, pensez à cette chronique et partagez votre opinion. Après tout, c’est aussi pour le bien de votre docteur !

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