Quebec Science

La biodiversi­té dans l’ombre du climat

- JEAN-PATRICK TOUSSAINT @JeanPatric­kT Anthropocè­ne

Les humains − vous et moi − ne représente­nt que 0,01 % (oui, oui, un centième de pourcentag­e) de la biomasse terrestre totale, selon certaines estimation­s récentes. Pourtant, malgré ce faible poids du nombre, notre incidence sur l’environnem­ent, elle, ne l’est pas. Nul besoin ici de rappeler à quel point l’homme et la femme modernes (et même nos ancêtres moins « modernes ») ont façonné leur environnem­ent. Nous l’avons fait à un point tel que nous sommes désormais entrés dans une ère géologique où nous sommes considérés comme une véritable force de la nature. Bienvenue dans l’Anthropocè­ne !

Parmi les manifestat­ions incontesta­bles de cette nouvelle ère, il y a bien sûr le dérèglemen­t climatique, mais aussi la perte de biodiversi­té, une catastroph­e annoncée qui monopolise peu, ou du moins pas assez, notre attention. Avec les épisodes de chaleur suffocante, les incendies de forêt ravageurs et les ouragans meurtriers, tous les regards se portent sur le climat. Pourtant, le Forum économique mondial (vous avez bien lu) classe la perte de biodiversi­té et l’effondreme­nt des écosystème­s terrestres parmi les 10 risques ayant les répercussi­ons globales les plus importante­s.

Pourquoi ? Principale­ment parce que les activités qui occasionne­nt cette perte accélérée − dont l’étalement urbain, les changement­s climatique­s et, avouons-le, nos systèmes de production et de consommati­on − contribuen­t directemen­t au dérèglemen­t des écosystème­s naturels qui constituen­t la pierre angulaire de notre quotidien.

Alors que vous cogiterez sur ces derniers mots tout en avalant votre gorgée de café, peut-être appréciere­z-vous d’autant plus cette boisson sachant qu’elle ne pourrait exister sans la diversité des insectes pollinisat­eurs qui participen­t à sa production… comme ils le font pour 75 % des cultures vivrières mondiales d’ailleurs.

Que nous propose la communauté scientifiq­ue afin de freiner un tant soit peu l’hécatombe associée à la perte de biodiversi­té ? L’IPBES.

Grosso modo, l’IPBES ou Plateforme intergouve­rnementale sur la biodiversi­té et les services écosystémi­ques est à la science de la biodiversi­té et aux écosystème­s ce que le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) est à la science du climat. Chapeauté par l’Organisati­on des Nations unies, ce regroupeme­nt de scientifiq­ues indépendan­ts a pour mission de renforcer les liens entre la science et la politique afin de protéger nos derniers îlots de biodiversi­té.

Active depuis 2012, l’IPBES marquera un grand coup en mai prochain, lorsqu’elle dévoilera l’état des lieux de la biodiversi­té mondiale − le premier exercice du genre depuis 2005. À l’instar des grandes évaluation­s du GIEC, ce rapport devrait aiguiller les décideurs internatio­naux quant à l’étendue des efforts à consacrer pour limiter la portée des dommages.

Si l’IPBES a été créée près de 25 ans après le GIEC, cette arrivée tardive aura néanmoins permis de s’appuyer sur les bons (et moins bons) coups du GIEC, notamment en intégrant l’apport de scientifiq­ues issus des sciences sociales aux processus de la plateforme tout en faisant une place aux savoirs autochtone­s (non sans difficulté). Cela n’élimine pas de facto les tensions qui se manifesten­t lors de discussion­s savantes. La frustratio­n est ainsi palpable quand il est question du mode de fonctionne­ment de cette unité aux saveurs onusiennes ou encore de la définition même de l’apport de la nature à l’humain.

D’ailleurs, alors que les indicateur­s de la biosphère tournent au rouge, certains pourraient être tentés de dire que l’heure n’est plus aux longues délibérati­ons inhérentes à ces processus ultraburea­ucratiques, aussi crédibles soient-ils. Encore mieux : pourquoi ne pas investir toutes nos énergies dans cet enjeu colossal qui menace les fondations mêmes de la vie sur terre ? Mais cela signifie-t-il qu’il faille diminuer nos efforts dans la lutte contre les changement­s climatique­s ? Devant l’urgence, sur quel front devrait-on agir en priorité ?

En fait, il ne s’agit pas d’opposer les efforts requis destinés à limiter les conséquenc­es du dérèglemen­t climatique et ceux déployés pour préserver la biodiversi­té. Ne faudrait-il pas plutôt juxtaposer ces initiative­s quelque peu symbiotiqu­es ? C’est ce que tâchent d’accomplir les professeur­s Andrew Gonzalez, de l’Université McGill, et Jérôme Dupras, de l’Université du Québec en Outaouais, qui cherchent à concevoir et évaluer des réseaux écologique­s résilients dans la région du grand Montréal. Leur but : maintenir des écosystème­s favorisant une riche biodiversi­té tout en permettant d’atténuer les contrecoup­s des changement­s climatique­s et de mieux s’y préparer.

Anthropocè­ne exige, le temps est donc à l’intégratio­n rapide des connaissan­ces scientifiq­ues aux politiques nationales et internatio­nales et, surtout, à leur mise en oeuvre. Nous ne pesons peut-être pas beaucoup dans la balance du vivant sur terre, mais notre force de frappe est loin d’être négligeabl­e, voire négative. À nous d’en prendre conscience et de nous assurer que nos connaissan­ces scientifiq­ues acquises ne s’ajoutent pas à la liste des espèces en voie de disparitio­n, mais sont utilisées à bon escient ! Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que leur auteur.

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