LE CABINET DES CURIOSITÉS
C’est la nouvelle lubie des collectionneurs fortunés : les objets associés à la science ou aux grands scientifiques sont plus populaires que jamais.
Les objets de science sont la nouvelle lubie des collectionneurs fortunés.
Elle est partie en quatre minutes, au prix de 2 900 000 $ US. La « lettre sur Dieu », écrite par Albert Einstein en 1954, a fait l’objet d’une brève lutte entre deux acheteurs au cours d’enchères organisées par Christie’s à New York en décembre dernier. C’est la troisième fois que cette lettre est mise sur le marché, mais sa valeur ne cesse d’augmenter : en 2008, elle avait été adjugée à un collectionneur pour « seulement » 400 000 $ US.
Christie’s a flairé le bon filon : ces deux dernières années, la société de vente aux enchères britannique a tenu trois ventes en ligne consacrées à Einstein (rassemblant des lettres, des cartes postales et des photographies du physicien) ainsi qu’une vente intitulée « Sur les épaules des géants », qui proposait 51 lots de manuscrits ou d’articles ayant appartenu à des figures majeures de la science, dont Isaac Newton. Parmi les « objets-vedettes », un fauteuil roulant en cuir utilisé par Stephen Hawking dans les années 1980 et une copie de sa thèse de doctorat − le lot est parti à 1 000 000 $ US.
« Ce qui est frappant dans nos ventes d’objets associés aux scientifiques, ce sont les sommes misées par les collectionneurs et le fait que ceux-ci viennent du monde entier. L’augmentation considérable de la valeur des objets scientifiques a été l’un des changements les plus importants dans notre domaine au cours des 15 dernières années », souligne Thomas Venning, directeur de la division des livres et manuscrits chez Christie’s à Londres. Il prépare d’ailleurs un autre encan autour de plusieurs scientifiques de renom pour le mois de mai.
Chez Sotheby’s, à New York, Cassandra Hatton fait le même constat. La vente aux enchères « Geek Week » qu’elle a mise sur pied fin 2018 a largement dépassé ses attentes. Au menu, 400 lots liés à l’exploration spatiale et à l’histoire des sciences et de la technologie*.
Parmi ces trésors, certains lui étaient particulièrement chers : des manuscrits de l’Américain Richard Feynman, décédé en 1988, et sa médaille du Nobel de physique datée de 1965. « C’est mon physicien préféré, car je viens de Los Angeles et il enseignait au California Institute of Technology. C’est une icône là-bas ! Cela faisait 10 ans que j’essayais de dénicher des documents, puis sa famille a communiqué avec moi pour planifier la vente ! Les planètes se sont alignées » , raconte, dans un français parfait, la vice-présidente du secteur des livres et manuscrits de Sotheby’s.
Les documents imprimés se sont vendus jusqu’à 10 fois plus cher que ce qu’elle avait estimé. « L’histoire de ces objets est fascinante. Prenez une médaille de prix Nobel, en or 23 carats. En temps normal, sa valeur est d’environ 10 000 $ US. Celle de Richard P. Feynman s’est vendue 900 000 $ US : la science est donc bien plus importante que l’objet », se réjouit Cassandra Hatton.
En matière d’artéfacts scientifiques, les collectionneurs ont des goûts éclectiques. Tout y passe : des fossiles de tricératops aux fragments de roches lunaires en passant par le chapeau de scout de l’astronaute Neil Armstrong, un recueil dactylographié de Marie Curie ou les machines Enigma utilisées par l’armée allemande pour chiffrer et déchiffrer des messages pendant la Seconde Guerre mondiale. « J’adore ces machines : c’est rare d’en trouver qui fonctionnent encore, de pouvoir les manipuler », dit Cassandra Hatton avec un enthousiasme contagieux.
Son péché mignon ? Les livres scientifiques du 17e siècle. Cela dit, elle n’a pas boudé son plaisir quand elle est tombée sur une première édition de L’origine des espèces, écrite par Charles Darwin en 1859. « J’ai récemment trouvé une bibliothèque qui avait deux copies du Dialogue sur les
deux principaux systèmes du monde, de Galilée, qu’il a rédigé en 1632 pour défendre l’héliocentrisme », relate-t-elle, comparant ses trouvailles à des voyages dans le temps.
Quant à Thomas Venning, quand on lui demande quel objet l’a particulièrement marqué, il se tourne de nouveau vers Einstein. Ou plutôt vers sa garde-robe. « Je souris chaque fois que je repense au jour où j’ai vendu sa veste en cuir Levi Strauss », confie-t-il. Prix du morceau ? 146 744 $ US… payés par nulle autre que la compagnie Levi’s !