Quebec Science

CET IMMENSE GLACIER QUI MENACE LES CÔTES

Un vaste programme de recherche tente de déterminer si et quand le glacier de Thwaites sombrera dans la mer.

- Par Mélissa Guillemett­e

Le glacier de Thwaites sombrera -t-il ans la mer ?

Ila la taille de la Floride. Mais au lieu d’attirer les retraités en quête de chaleur, il soulève l’inquiétude chez les chercheurs. Le glacier de Thwaites, situé dans l’Antarctiqu­e occidental, est l’un des plus gros de la planète, mais surtout l’un des plus menaçants.

Sa fonte est déjà responsabl­e de quatre pour cent de l’augmentati­on globale du niveau de la mer chaque année, selon les estimation­s, et la quantité d’eau qu’il relâche annuelleme­nt a doublé depuis le milieu des années 1990. L’écroulemen­t complet du glacier causerait une hausse du niveau de la mer de 0,8 m, d’après les modèles actuels. Mais il entraînera­it aussi dans sa course des structures voisines, ce qui pourrait signifier une élévation totale de 3 m. Des villes et des îles entières pourraient y passer.

À quel rythme ? Difficile à prévoir parce que très peu de scientifiq­ues ont étudié ce glacier, situé à plusieurs heures de vol des stations de recherche du continent. On ne sait même pas à quoi ressembler­ait l’effondreme­nt d’un tel mastodonte : un déclin morceau par morceau ou un grand plongeon ? « Personne n’a jamais vu un glacier s’écrouler. Ce n’est pas comme les prévisions météo, dont les modèles s’améliorent tous les jours grâce aux nouvelles données », dit David Holland, un diplômé de l’Université McGill devenu professeur à l’Université de New York.

David Holland a déjà pris le thé sur le glacier de Thwaites il y a quelques années, sans s’y attarder toutefois. L’océanograp­he était alors en route vers son sujet d’étude : le glacier de l’île du Pin. « On croyait à l’époque qu’il était le plus important », vu sa dégradatio­n accélérée, explique le glaciologu­e originaire de Terre-Neuve. Jusqu’à ce que les données recueillie­s par satellite et les modèles mathématiq­ues tournent les projecteur­s vers son voisin, Thwaites, qui possède tous les ingrédient­s de l’instabilit­é, en plus de représente­r le plus grand bassin versant. Avec des collègues de différente­s spécialité­s, il a milité pendant près de 10 ans pour que le glacier soit étudié sous toutes ses givrures ; il a finalement eu gain de cause. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé récemment un programme qui finance huit équipes pour cinq ans.

Le projet MELT de M. Holland, soutenu par le campus d’Abou Dhabi de son université, s’intéresse à la ligne d’ancrage du glacier. Ce terme fait référence à cet endroit au-delà duquel un glacier marin perd son appui sur son lit, qui se trouve sous le niveau de la mer, et « flotte ». La première étape du projet, qui a eu lieu à l’hiver 2019, a consisté à déterminer, grâce à des explosions et à un sismomètre, l’emplacemen­t exact de cette ligne. Cette donnée est capitale : plus la ligne recule vers l’intérieur du continent, plus de l’eau entre sous le glacier, ce qui accélère sa fonte.

L’an prochain, trois trous seront percés dans le glacier à l’aide de jets d’eau − et de beaucoup de patience, car le couvert fait plus d’un kilomètre d’épais. Le premier sera fait avant la ligne d’ancrage, jusqu’à la base, et des appareils suivront la fonte de la glace dans les profondeur­s. À ce sujet, une étude menée à partir de radars et de satellites et publiée en janvier dernier a révélé qu’une immense cavité de 10 km sur 4 km s’est formée entre 2011 et 2016 à la base du glacier…

Pour revenir au projet MELT, le deuxième trou sera creusé après la ligne d’ancrage, jusque dans la mer. « Nous y enverrons un robot qui nagera dans les environs et nous dira quelles sont les propriétés de l’eau », mentionne David Holland. Enfin, le dernier trou donnera des indication­s sur la fonte au front du glacier, cette partie plus mince qui se désagrège pour relâcher des icebergs dans la mer d’Amundsen.

En savoir plus sur l’histoire du glacier de Thwaites aidera également à perfection­ner les projection­s. C’est ce à quoi s’attaquera l’équipe de la géochimist­e Joanne Johnson, qui travaille au British Antarctic Survey. Son équipe refera l’historique du niveau de la mer d’Amundsen des 10 000 dernières années en datant les « plages soulevées » des îles environnan­tes. Ces lieux témoignent d’époques où le niveau de la mer était plus élevé qu’aujourd’hui et où la calotte glaciaire était forcément plus mince. « Ces îles sont entourées par beaucoup de glace et il est très difficile pour les bateaux d’y accéder. C’est en partie pour cette raison qu’on détient très peu d’informatio­n sur le niveau de la mer de cette région », indique la chercheuse, qui « se croise les doigts ».

Cette équipe percera également la neige et la glace jusqu’à la roche pour prélever des carottes du mont Murphy et de la chaîne Hudson, près du glacier de Thwaites. Les chercheurs espèrent ainsi reconstitu­er les épisodes de croissance et de décroissan­ce des glaciers au fil du temps. Ces deux endroits sont intéressan­ts parce que des travaux de datation sur des roches de surface y ont déjà été effectués. « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de roches qui “dépassent” du glacier de Thwaites, mais ces travaux devraient nous informer sur ce qui lui est arrivé à lui aussi. »

Un autre projet de recherche à saveur historique permettra d’étudier les sédiments des fonds marins. Et une autre équipe se penchera sur la nature du socle du glacier. Est-il fait de roche ? Est-il mou ? Ce facteur influence son glissement naturel vers l’océan. « On souhaite que toutes ces études fournissen­t des données pour améliorer les projection­s et aider les gouverneme­nts à se préparer à la montée des eaux », dit Joanne Johnson.

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