Quebec Science

La roulette russe aquatique

En apnée sportive, des plongeurs sont prêts à tout pour réaliser une performanc­e digne de ce nom. Quitte à mettre en péril leur santé cognitive, voire leur vie.

- PAR MAXIME BILODEAU

En apnée sportive, des plongeurs sont prêts à mettre en péril leur santé, voire leur vie.

Jean Emmanuel Turquois ne manque pas d’air. Le 30 novembre 2018, ce Franco-Québécois a retenu son souffle sous l’eau pendant 6 min 49 s à l’occasion d’une compétitio­n d’apnée statique tenue au Complexe aquatique Laurie-Ève-Cormier, à Bouchervil­le. C’est près d’une minute de plus que le très long vidéoclip d'Another Brick in the Wall, de Pink Floyd !

Mais cette performanc­e reste à des années-lumière de celle réalisée par Stéphane Mifsud en 2009 sur la Côte d’Azur : 11 min 35 s. Aussi bien dire une éternité pour les organes de son corps, privés d’oxygène frais durant tout ce temps. Pour accomplir ces exploits, les deux hommes ont dû apprendre à dompter le gaz carbonique, explique Maxim Iskander, fondateur et président du Club d’apnée sportive de Québec (CASQ). « Ce n’est pas le manque d’oxygène qui donne envie de respirer, mais bien l’accumulati­on de CO dans l’organisme. L’enjeu est donc 2 d’en produire le moins possible », nous indiquait-il en marge d’un cours d’initiation à l’apnée statique du CASQ donné en octobre 2018.

Car oui, il s’agit d’un véritable sport, en croissance à travers le monde depuis la sortie du Grand Bleu sur les écrans en 1988. Statique, dynamique, en profondeur : l’objectif de la discipline qui se pratique en piscine comme dans la nature est toujours le même, soit résister à l’asphyxie le plus longtemps possible.

Pour limiter la production de CO , il n’y 2 a pas trente-six solutions : il faut ralentir l’activité du corps, dont les milliards de cellules réclament sans cesse de l’oxygène. Méditation, relaxation et respiratio­n profonde sont d’ailleurs des incontourn­ables dans la préparatio­n des pratiquant­s de l’apnée, qu’on qualifie parfois de yoga aquatique.

Ce n’est toutefois que la première partie de l’équation ; encore faut-il résister à la hausse généralisé­e du niveau de CO . 2 Heureuseme­nt, l’être humain peut compter sur un réflexe de survie présent chez tous

les mammifères : celui d’immersion. « Une série de réactions physiologi­ques spécifique­s se mettent en branle dès que le visage entre en contact avec de l’eau. Le rythme cardiaque diminue considérab­lement, les capillaire­s des extrémités se ferment afin de rediriger le sang vers les organes vitaux », énumère Maxim Iskander. Une cascade d’évènements cardiovasc­ulaires, métaboliqu­es et cérébrovas­culaires documentée par une revue de la littératur­e publiée en 2018 dans Experiment­al Physiology, la plus récente sur le sujet.

PAS SANS RISQUES

La réponse à l’immersion est si forte qu’elle permet à des néophytes de tenir pendant près de trois minutes sous l’eau dès leurs premières plongées, avons-nous constaté à la formation du CASQ.

Cela ne surprend guère Anthony Bain, chercheur au départemen­t de kinésiolog­ie de l’Université de Windsor, en Ontario, et auteur d’une thèse sur la physiologi­e de l’apnée sportive achevée en 2016. « C’est environ après cette durée que la phase de lutte débute. L’apnéiste livre alors une véritable bataille contre lui-même : son diaphragme est secoué par des spasmes involontai­res, il peine à simplement garder sa bouche et ses voies respiratoi­res bloquées », décrit le scientifiq­ue. Par l’entraîneme­nt, les apnéistes de haute voltige apprennent à faire fi de ces signaux de détresse.

Cela, parfois, au péril de leur vie. Entre 2004 et 2015, le Divers Alert Network a recensé 763 incidents d’apnée sportive sur la planète. De ce nombre, quatre sur cinq se sont avérés fatals, peut-on lire dans un rapport qu’a fait paraître l’organisati­on à but non lucratif.

Les causes de décès sont nombreuses et vont des attaques d’animaux marins aux collisions avec un bateau. Mais 83 % des tragédies s’expliquent plutôt par un comporteme­nt inappropri­é des plongeurs, par une forme physique insuffisan­te ou par un état de santé inadéquat. « Les accidents mortels sont souvent le lot de personnes qui vont trop loin sans supervisio­n appropriée ou, pire, qui plongent

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