Cachez ce VIH que je ne saurais voir…
Une femme de 40 ans, appelons-la Barbara, va chez le dentiste pour une simple extraction. Dans la salle d’attente, elle se demande si elle doit lui révéler qu’elle est porteuse du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Son médecin lui a dit récemment que le virus n’était plus détectable dans son sang et que son taux de globules blancs CD4 − responsables de la défense immunitaire et qui sont touchés dans la maladie − était presque normal. Barbara décide finalement de garder sa séropositivité pour elle. De toute façon, elle prend religieusement sa trithérapie et elle n’a pas touché à la drogue intraveineuse depuis une vingtaine d’années.
Choquant ? Pas vraiment. Du moins, la science lui donne en partie raison. Une étude parue dans le New England Journal of Medicine en 2016 a montré qu’une personne atteinte du VIH dont la charge virale est indétectable ne peut transmettre le virus. Un véritable point de bascule pour les séropositifs. À ce propos, la procureure générale du Canada a publié une directive en décembre 2018 stipulant qu’un individu séropositif avec une charge virale indétectable ne devrait pas être poursuivi dans l’éventualité d’un non-dévoilement de son statut sérologique.
Cette avancée importante découle des progrès scientifiques accomplis depuis la mise au jour du virus en 1983. D’abord, il y a eu la découverte et la démocratisation des antirétroviraux au milieu des années 1990. À défaut d’avoir un vaccin, les personnes à risque de contracter le virus peuvent dorénavant prendre une médication de manière préventive, qui porte le nom de prophylaxie préexposition. Aujourd’hui, nous n’avons jamais été aussi près d’éradiquer ce fléau. Malgré tout, la sensibilisation demeure essentielle : une banalisation du VIH se traduirait par une transmission accrue de la maladie.
Pour la médecin que je suis, le VIH est devenu une maladie chronique comme une autre, qui se contrôle par une prise en charge globale et une médication efficace, au même titre que le diabète de type 2. Je constate qu’en 2019 tous les ingrédients sont réunis pour que les hommes et les femmes infectés par le VIH puissent mener une vie tout à fait normale.
Or, il y a une ombre au tableau.
Le problème, c’est que je vous ai raconté une version idéalisée de l’histoire de Barbara. Voilà ce qui s’est réellement passé : cette dame s’est présentée chez son dentiste et lui a dit qu’elle avait le VIH. Elle l’a fait par souci d’honnêteté et non parce qu’elle y était obligée. La divulgation de son statut sérologique est requise par la loi canadienne dans trois situations seulement : au moment de contracter une assurance, lors d’une demande d’immigration ou encore avant un rapport sexuel avec possibilité de transmission dite « réaliste ». Le dentiste a réagi en tenant des propos dégradants sur son passé trouble, ironisant qu’elle n’avait sûrement pas attrapé sa maladie sur une cuvette de toilette…
Choquant ? Ça, oui ! À cause de ce type de discrimination, les personnes séropositives risquent davantage de souffrir de maladies chroniques ou de troubles de santé mentale que la population en général. Le véritable obstacle n’est plus médical, mais bien social : si la trithérapie n’est pas si difficile à avaler, c’est le regard de la société qui laisse un goût amer.