Quebec Science

Du chou frisé pousse au Nunavik

À Kuujjuaq, des chercheurs travaillen­t main dans la main avec la collectivi­té pour renforcer le projet de serres communauta­ires et évaluer ses retombées.

- Par Hélène Gélot

À58° de latitude nord, sur les rives de la rivière Koksoak, de la rhubarbe, des bettes à carde et des navets poussent au milieu du paysage rocailleux du plus grand village du Nunavik. Depuis 2014, une quarantain­e d’habitants viennent jardiner dans les deux serres communauta­ires de Kuujjuaq. « Les gens désireux d’avoir un lot donnent leur nom, puis il y a un tirage au sort, explique Marc-André Lamontagne, membre du comité des serres. Plus de 80 personnes se sont montrées intéressée­s pour la saison à venir, c’est un record ! »

Actuelleme­nt, les 46 lots des serres non chauffées permettent de récolter plus d’une tonne de légumes, fruits et herbes aromatique­s par an. Un chiffre qui pourrait augmenter si les écarts de températur­e entre le jour et la nuit étaient atténués dans les serres et si la saison de culture, pour l’instant de mi-mai à fin septembre, durait plus longtemps.

C’est l’objet des travaux portés par l’Observatoi­re hommes-milieux internatio­nal Nunavik et dirigés par Jasmin Raymond, de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue, et Didier Haillot, de l’Université de Pau, en France. « En novembre dernier, on a installé des caissons remplis de roches sous les bacs de culture d’une des deux serres, détaille Didier Haillot. Grâce à des ventilateu­rs, l’air chaud de la serre est diffusé dans les roches au cours de la journée et cette chaleur est restituée la nuit. »

Ce système tout simple permet d’emmagasine­r la chaleur au quotidien pendant la saison de culture, mais il n’est pas adapté au stockage saisonnier. « Pour cela, on aura plutôt recours à la géothermie, dit Jasmin Raymond. L’idée, encore à l’étude, est d’installer des panneaux solaires thermiques sur la serre et de stocker la chaleur produite dans des forages. » Elle pourrait ensuite être utilisée en octobre afin d’allonger la saison de culture.

Si la première des deux serres existe depuis les années 1990, le projet des serres communauta­ires a véritablem­ent vu le jour avec le passage, à partir de 2009, de différents chercheurs venus sensibilis­er les habitants du Nord aux bienfaits des légumes. Lorsque l’intérêt des Kuujjuamiu­t pour le jardinage a été confirmé, une deuxième serre a été construite en 2012. « Avec l’arrivée progressiv­e des commerces dans le Nord, la disponibil­ité alimentair­e a beaucoup changé, raconte Véronique Coxam, de l’Institut national de la recherche agronomiqu­e de France, engagée dans ces travaux. Aujourd’hui, chez les Inuits, 35 % de l’énergie apportée par les aliments provient de boissons sucrées, croustille­s et autre malbouffe. Ils mangent peu de fruits et légumes. »

Il y a moins d’un siècle pourtant, ils tiraient 100 % de leur nourriture de la chasse, de la pêche et de la cueillette, contre seulement de 15 % à 20 % aujourd’hui. Le menu traditionn­el inuit était adapté à leur mode de vie. « Les Inuits disent qu’avant ils cueillaien­t assez de petits fruits pour en avoir toute l’année et que maintenant il n’y en a plus suffisamme­nt », poursuit la chercheuse. Les changement­s climatique­s seraient à blâmer, selon différente­s études. Voilà pourquoi « la volonté de cultiver des plantes traditionn­elles dans les serres a été mentionnée plusieurs fois dans nos enquêtes auprès des habitants. C’est l’un des objectifs du projet », signale Véronique Coxam.

L’améliorati­on de l’alimentati­on est loin d’être le seul avantage de l’introducti­on du jardinage dans le Nord-du-Québec, assure Marc-André Lamontagne. « Jardiner favorise l’adoption de saines habitudes de vie, procure un apaisement, permet de faire de l’exercice physique et renforce les liens sociaux. » Il s’accompagne aussi de découverte­s ! « On a organisé une fête des récoltes l’automne dernier et de vieilles dames inuites ont goûté du chou frisé pour la première fois. »

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À la fin de septembre, les serres de Kuujjuaq ferment. Des scientifiq­ues tentent d’y prolonger la saison de culture.

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