Quebec Science

Glyphosate : le faux scandale du rapport copié-collé

- JEAN-FRANÇOIS CLICHE @clicjf

Voilà de quoi pousser les hauts cris : quand il a rédigé son rapport sur la toxicité du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) aurait plagié des textes que lui avaient fournis… les fabricants de glyphosate. Imaginez un peu : environ la moitié des chapitres sur la santé humaine serait un copier-coller pur et simple, et c’est ce travail du BfR qui a servi de base au renouvelle­ment de l’homologati­on européenne du glyphosate en 2017.

Les apparences sont accablante­s pour la science règlementa­ire. Mais sur le fond, y a-t-il vraiment matière à scandale ?

Cette histoire a commencé quand des députés européens (des socialiste­s et des verts, essentiell­ement) ont commandé un rapport d’expertise à un spécialist­e du plagiat, Stefan Weber, de l’Université de Vienne, et à un militant, Helmut BurtscherS­chaden, des Amis de la Terre. À l’aide d’un logiciel, ceux-ci ont comparé le rapport du BfR avec les documents fournis par l’industrie dans sa demande de renouvelle­ment d’homologati­on. Et ils ont évalué qu’une bonne partie de son contenu était constituée de passages repiqués dans les documents des fabricants. D’où la conclusion que bien des gens ont tirée : le processus est vicié, car le BfR mangeait dans la main de Monsanto, inventeur de l’herbicide.

Et la base factuelle est vraie : il y a bel et bien eu une forme de « plagiat ». Mais le fait est que, dans un cas comme celui-ci, le pourcentag­e de texte copié-collé n’est pas un bon indicateur de l’indépendan­ce d’une agence sanitaire. Alors là, pas du tout.

La proportion la plus élevée d’éléments « plagiés » a été trouvée dans les sections présentant des études non publiées que l’industrie a fournies au BfR, soit 81,4 %. Celui-ci y a copié les résumés des compagnies puis, et c’est un point essentiel, a inscrit de courts commentair­es en italique à la suite de chaque résumé. Plusieurs de ces études industriel­les passent carrément à la moulinette : le BfR en qualifie certaines d’« inacceptab­les »; dans d’autres cas, il corrige à la baisse les « seuils sans effet » (soit la plus forte dose qui ne produit pas d’effet observable). Il est très clair que l’institut allemand a gardé toute la distance critique nécessaire même si le copier-coller représente plus de 80 % de ces chapitres.

MM. Weber et Burtscher-Schaden l’admettent, mais ajoutent que les passages copiés ne sont pas tous accompagné­s de commentair­es. Dans les sections qui abordent la littératur­e scientifiq­ue publiée en lien avec la santé humaine, le duo a trouvé 50,1 % de texte plagié mais aucune notation particuliè­re. Selon eux, le BfR aurait ainsi donné une crédibilit­é indue à ces passages en faisant semblant d’en être l’auteur.

Le BfR, lui, jure de son indépendan­ce en expliquant que c’est la manière habituelle de procéder, ce que plusieurs scientifiq­ues ont aussi confirmé sur les réseaux sociaux : parmi les documents industriel­s, l’organisati­on retient les passages qu’elle juge conformes et élague le reste, le modifie ou y ajoute ce qu’elle juge pertinent. D’où les 49,9 % de « contenu original », si je puis dire.

On peut certaineme­nt trouver bizarre cette façon de faire. Dans un dossier où il suffit d’un rien pour alimenter les pires soupçons, c’est une drôle de manière de « gérer sa crédibilit­é ».

Mais est-ce le signe que les fonctionna­ires allemands étaient téléguidés par l’industrie ? En dépit des apparences, cela me semble très difficile à croire. D’abord parce que cela implique que le BfR, après avoir maintenu une distance critique en révisant les études confidenti­elles des fabricants du pesticide, serait devenu soudaineme­nt crédule et complaisan­t à l’égard de la même industrie quand est venu le temps d’examiner la littératur­e scientifiq­ue publiée. C’est invraisemb­lable.

Ensuite, les conclusion­s du BfR sont en droite ligne avec celles de pratiqueme­nt toutes les autres instances de santé publique du monde − et son rapport fut d’ailleurs passé au crible des autres agences sanitaires européenne­s avant la décision de 2017. Santé Canada a aussi réautorisé l’utilisatio­n du glyphosate récemment. Et si le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer (lié à l’Organisati­on mondiale de la santé) a jugé cet herbicide « probableme­nt cancérigèn­e » en 2015, nombre d’autres organisati­ons l’ont contredit par la suite.

Alors, à moins de soupçonner tout ce beau monde de faire partie d’un complot, il faut conclure que cette histoire de plagiat est une grosse tempête dans un bien petit verre d’eau…

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