Glyphosate : le faux scandale du rapport copié-collé
Voilà de quoi pousser les hauts cris : quand il a rédigé son rapport sur la toxicité du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) aurait plagié des textes que lui avaient fournis… les fabricants de glyphosate. Imaginez un peu : environ la moitié des chapitres sur la santé humaine serait un copier-coller pur et simple, et c’est ce travail du BfR qui a servi de base au renouvellement de l’homologation européenne du glyphosate en 2017.
Les apparences sont accablantes pour la science règlementaire. Mais sur le fond, y a-t-il vraiment matière à scandale ?
Cette histoire a commencé quand des députés européens (des socialistes et des verts, essentiellement) ont commandé un rapport d’expertise à un spécialiste du plagiat, Stefan Weber, de l’Université de Vienne, et à un militant, Helmut BurtscherSchaden, des Amis de la Terre. À l’aide d’un logiciel, ceux-ci ont comparé le rapport du BfR avec les documents fournis par l’industrie dans sa demande de renouvellement d’homologation. Et ils ont évalué qu’une bonne partie de son contenu était constituée de passages repiqués dans les documents des fabricants. D’où la conclusion que bien des gens ont tirée : le processus est vicié, car le BfR mangeait dans la main de Monsanto, inventeur de l’herbicide.
Et la base factuelle est vraie : il y a bel et bien eu une forme de « plagiat ». Mais le fait est que, dans un cas comme celui-ci, le pourcentage de texte copié-collé n’est pas un bon indicateur de l’indépendance d’une agence sanitaire. Alors là, pas du tout.
La proportion la plus élevée d’éléments « plagiés » a été trouvée dans les sections présentant des études non publiées que l’industrie a fournies au BfR, soit 81,4 %. Celui-ci y a copié les résumés des compagnies puis, et c’est un point essentiel, a inscrit de courts commentaires en italique à la suite de chaque résumé. Plusieurs de ces études industrielles passent carrément à la moulinette : le BfR en qualifie certaines d’« inacceptables »; dans d’autres cas, il corrige à la baisse les « seuils sans effet » (soit la plus forte dose qui ne produit pas d’effet observable). Il est très clair que l’institut allemand a gardé toute la distance critique nécessaire même si le copier-coller représente plus de 80 % de ces chapitres.
MM. Weber et Burtscher-Schaden l’admettent, mais ajoutent que les passages copiés ne sont pas tous accompagnés de commentaires. Dans les sections qui abordent la littérature scientifique publiée en lien avec la santé humaine, le duo a trouvé 50,1 % de texte plagié mais aucune notation particulière. Selon eux, le BfR aurait ainsi donné une crédibilité indue à ces passages en faisant semblant d’en être l’auteur.
Le BfR, lui, jure de son indépendance en expliquant que c’est la manière habituelle de procéder, ce que plusieurs scientifiques ont aussi confirmé sur les réseaux sociaux : parmi les documents industriels, l’organisation retient les passages qu’elle juge conformes et élague le reste, le modifie ou y ajoute ce qu’elle juge pertinent. D’où les 49,9 % de « contenu original », si je puis dire.
On peut certainement trouver bizarre cette façon de faire. Dans un dossier où il suffit d’un rien pour alimenter les pires soupçons, c’est une drôle de manière de « gérer sa crédibilité ».
Mais est-ce le signe que les fonctionnaires allemands étaient téléguidés par l’industrie ? En dépit des apparences, cela me semble très difficile à croire. D’abord parce que cela implique que le BfR, après avoir maintenu une distance critique en révisant les études confidentielles des fabricants du pesticide, serait devenu soudainement crédule et complaisant à l’égard de la même industrie quand est venu le temps d’examiner la littérature scientifique publiée. C’est invraisemblable.
Ensuite, les conclusions du BfR sont en droite ligne avec celles de pratiquement toutes les autres instances de santé publique du monde − et son rapport fut d’ailleurs passé au crible des autres agences sanitaires européennes avant la décision de 2017. Santé Canada a aussi réautorisé l’utilisation du glyphosate récemment. Et si le Centre international de recherche sur le cancer (lié à l’Organisation mondiale de la santé) a jugé cet herbicide « probablement cancérigène » en 2015, nombre d’autres organisations l’ont contredit par la suite.
Alors, à moins de soupçonner tout ce beau monde de faire partie d’un complot, il faut conclure que cette histoire de plagiat est une grosse tempête dans un bien petit verre d’eau…