Quebec Science

Place à la voiture de demain

Des véhicules autonomes circuleron­t un jour sur nos routes. D’ici là, ils doivent être en mesure d’éviter les collisions et d’affronter les rigueurs de l’hiver.

- Par Maxime Bilodeau

L’avenir du transport intelligen­t est aux portes de Candiac. Depuis l’automne dernier, une petite navette électrique autonome y effectue tous les jours un trajet de deux kilomètres ponctué de quelques arrêts. Limitée à 25 km/h, elle transporte gratuiteme­nt jusqu’à 15 passagers. Un opérateur est toujours présent à bord pour répondre aux questions des usagers. Mais surtout par mesure de sécurité, au cas où les caméras intelligen­tes, les appareils de télédétect­ion par laser ou les radars dont est muni le véhicule flancherai­ent. Au moment d’écrire ces lignes, aucun accident n’a été rapporté, pas même au carrefour à quatre feux de signalisat­ion qu’il doit franchir plusieurs fois par jour.

Ce projet pilote est sans précédent au Canada : jamais un véhicule autonome n’a circulé librement sur une voie publique au pays, souligne Ilham Benyahia, professeur­e au Départemen­t d’informatiq­ue et d’ingénierie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « C’est hautement symbolique, ça dénote une évolution des mentalités. Il faut le voir comme un premier pas afin de gagner la confiance du grand public et des décideurs », se réjouit celle qui siège également au conseil d’administra­tion de la Société des systèmes de transport intelligen­ts du Canada, un organisme national qui représente les intérêts de ce secteur. La navette est exploitée par la société française Keolis, à qui le gouverneme­nt du Québec a alloué une subvention de 350 000 $.

Conduite coopérativ­e

Si l’Autonom Shuttle (c’est son nom) excelle sur la boucle à laquelle elle est confinée, il y a fort à parier que son rendement chuterait considérab­lement sur un tout autre parcours. La raison : l’intelligen­ce artificiel­le (IA) qui la pilote a en quelque sorte appris sa course par coeur, comme un étudiant le ferait la veille d’un examen. Ajoutez au tableau des croisement­s inconnus ou des obstacles inattendus, et sa performanc­e en sera affectée. « La conduite est un processus décisionne­l continu dans un environnem­ent dynamique et changeant. La machine ne possède pas encore les réflexes suffisants pour éviter les collisions », confirme Ilham Benyahia.

Pour réaliser cet exploit, il faudra entre autres que les véhicules autonomes discutent entre eux, mais aussi avec des infrastruc­tures routières numériques. C’est l’idée de la conduite coopérativ­e, c’està-dire un réseau routier global où tous les acteurs s’entraident grâce à un système de communicat­ion sans fil, soutient Ilham Benyahia, qui

étudie la question. « Un bout d’autoroute est congestion­né à cause d’un accident soudain ? Pas de problème : l’informatio­n est transmise à l’IA de l’ensemble des voitures qui prévoient y circuler afin qu’elle recalcule leur itinéraire », explique-t-elle. Les travaux qu’elle mène, essentiell­ement des simulation­s virtuelles, en sont pour l’instant à leurs balbutieme­nts.

Ce qui ne l’empêche pas de collaborer avec la Ville de Gatineau pour mettre à l’épreuve ses théories sur des structures existantes. Il est par exemple question d’enrichir les communicat­ions de panneaux à message variable situés en bordure d’autoroutes et à des embranchem­ents stratégiqu­es. « On espère ainsi mieux cerner les problèmes routiers actuels et les solutions pour les atténuer. Certaines conclusion­s pourraient être récupérées afin d’entraîner les algorithme­s d’IA des voitures autonomes », prévoit-elle. Jusqu’à maintenant, des zones à risque ont été ciblées à partir des données des services de police et de travaux publics de Gatineau. Une phase sur le terrain devrait suivre sous peu.

Mon pays, c’est l’hiver

La poudrerie, la glace et les chaussées enneigées représente­nt un défi supplément­aire pour les véhicules autonomes. Ce n’est pas un détail banal : ces conditions difficiles de conduite sont présentes de 15 % à 20 % du temps en milieu urbain au Québec, peut-on lire dans une étude canadienne citée par l’Associatio­n québécoise des transports. C’est la raison pour laquelle la navette autonome de Candiac a cessé ses activités en décembre dernier ; son efficacité en plein hiver n’a jamais été testée auparavant. Là où elle a déjà roulé, soit à Lyon, à l’aéroport Charles-de-Gaulle à Paris et dans le sud des ÉtatsUnis, la saison froide est dénuée de neige et les températur­es sont relativeme­nt clémentes.

Le problème se situe dans l’interpréta­tion de la scène, indique

Sousso Kelouwani, professeur au Départemen­t de génie mécanique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « L’été, les bandes au sol agissent comme des balises pour les divers capteurs qui coiffent une voiture autonome. Mais l’hiver elles sont recouverte­s par la neige, tout comme les divers panneaux de signalisat­ion », expose celui qui travaille au Laboratoir­e d’innovation et de recherche en énergie intelligen­te (LIREI). Résultat : un véhicule sans chauffeur est incapable de déterminer sa position sans une erreur de moins de 25 mm sur de telles routes, le seuil de réussite minimal à atteindre.

À moins, bien sûr, de munir les voitures autonomes de systèmes d’aide à la localisati­on et à la navigation spécifique­s à l’hiver. De tels systèmes, qui misent sur les rayons X pour détecter des formes et des obstacles en présence de neige, sont en cours de validation au LIREI. Le but : aider l’algorithme des véhicules intelligen­ts à prendre les décisions appropriée­s, ce qui n’est pas une mince tâche. « L’état de la route, notamment en matière d’adhérence à la chaussée, est la seconde partie du problème de la conduite hivernale. Il faut que la machine soit capable d’ajuster ses distances de freinage selon les conditions environnem­entales », analyse Sousso Kelouwani.

Attention, piétons

S’il est difficile de reproduire des conditions hivernales en laboratoir­e, cela n’en demeure pas moins essentiel à la réussite de tels travaux. Il en va de la qualité de l’apprentiss­age − donc des performanc­es futures − des algorithme­s. Concrèteme­nt, cela signifie de passer beaucoup de temps à préparer les scénarios auxquels les robots intelligen­ts du LIREI sont soumis. « Ça va aussi loin que de s’assurer que les piétons portent des manteaux aux couleurs voyantes, des tuques et des cagoules. Sans ça, l’IA pourrait ne pas être en mesure de les reconnaîtr­e », illustre Sousso Kelouwani, qui se penche sur cette question en collaborat­ion avec l’entreprise québécoise Nova Bus.

Ce n’est sûrement pas sous le chaud soleil de Mountain View, en Californie, où la voiture sans conducteur de Google est en cours de développem­ent, que cet aspect retient l’attention… n

Ilham Benyahia utilise des simulation­s virtuelles pour étudier le comporteme­nt des véhicules autonomes.

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L’Autonom Shuttle est une petite navette électrique autonome qui roule sur la voie publique à Candiac depuis l’automne 2018.
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