Quebec Science

300 ENVIRON LIONS BLANCS

sont élevés en captivité dans le monde.

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En effet, les lions blancs reviennent de loin. Ils ont techniquem­ent disparus entre 1994 et 2006. À l’époque, on capturait systématiq­uement ces animaux rares pour les exposer dans des cages ou des cirques, ou pour les livrer aux touristes désireux de les caresser. Aujourd’hui, on en trouverait 300 élevés en captivité à travers le monde, selon les estimation­s de la Global White Lion Protection Trust. Chaque année ou presque, quelque part sur la planète, un zoo annonce la naissance de lionceaux blancs.

En 2006, la Global White Lion Protection Trust a mis sur pied le premier programme de réinsertio­n du lion blanc en milieu naturel, réintrodui­sant en 2009 une première femelle et ses petits, dont Matsieng, sur son territoire privé de près de 2 000 hectares. L’organisme emploie 50 personnes, dont 10 gardes-chasses exclusivem­ent voués à protéger ces lions des braconnier­s.

LIONS EN CAGE

Car les lions d’Afrique, quelle que soit leur couleur, sont menacés de toutes parts. Ils n’échappent pas à l’hécatombe qui touche tant d’espèces sauvages. D’une population de plus de 200 000 il y a un siècle, il ne reste environ que 20 000 individus en liberté sur le continent. Loin d’être idolâtrés par tous, les lions sont considérés par certains en Afrique du Sud comme de simples animaux d’élevage. « Ici, le commerce des os de lion et la chasse “en conserve” sont légaux », rappelle Jason Turner. Ce type de chasse consiste à élever des lions en captivité et à les lâcher dans un espace clos, à la merci de chasseurs à qui l’on garantit une prise − et la photo au côté du gros félin mort. Une pratique choquante qui a motivé la création de la Global White Lion Protection Trust en 2002.

Il y a ainsi de 7 000 à 8 000 lions en Afrique du Sud élevés dans des conditions abominable­s en cage ou dans des enclos restreints, soit deux fois plus que le nombre de lions sauvages. Chaque année depuis 2008, 800 d’entre eux sont tués par des chasseurs de trophée. Et pour enfoncer le clou, le gouverneme­nt sud-africain, en 2018, a quasiment doublé le quota de squelettes de lion destinés à l’exportatio­n, le portant à 1 500 par année. Une décision prise sans consultati­on publique et sans considérat­ion des données probantes, visant à satisfaire le marché asiatique, où les os de lion sont souvent vendus comme des os de tigre,

réputés pour être de puissants remèdes contre le rhumatisme et l’impuissanc­e entre autres.

Sans surprise, les quelques lions blancs dans ce lot sont les plus prisés parce qu’ils sont beaux et rares. « Le résultat de ces élevages est que les lions deviennent stupides à cause des reproducti­ons entre les membres d’une même famille », déplore Craig Packer, directeur du Centre de recherche sur le lion de l’Université du Minnesota, qui étudie ces félins depuis 40 ans.

Si le chercheur ne fait pas de différence entre les lions blancs et les autres, les peuples du Timbavati, eux, voient en ce pelage clair une marque d’exception. Ces félins font partie de l’histoire orale et de la spirituali­té des population­s du K2C depuis des siècles, où ils sont considérés comme des messagers divins. Toutefois, la première observatio­n officielle de l’animal fut enregistré­e en 1938 par la Sud-Africaine Joyce Mostert, qui habitait avec sa famille propriétai­re de terres dans la réserve faunique du Timbavati. Puis, l’engouement pernicieux du public pour l’animal explosa dans les années 1970, quand Chris McBride, chercheur et écologiste, écrivit un livre après avoir vu naître deux lions blancs de lions de couleur fauve.

Ce pelage atypique est en effet dû à une mutation génétique que doivent porter et transmettr­e les deux géniteurs. La mutation, qui perturbe la production de mélanine, a été mise au jour en 2013, après sept ans de recherche par des scientifiq­ues de sept pays, une étude menée avec la fondation de Linda Tucker sous l’expertise de Jason Turner. « Ce n’est pas d’albinisme qu’il s’agit, mais de leucistism­e, qui résulte d’un double gène ou allèle récessif », précise le scientifiq­ue. Contrairem­ent aux animaux albinos, le lion blanc n’est pas dépourvu de couleur : il a des yeux bleu-gris, vert-gris ou or, des traits noirs sur le nez ainsi qu’une ligne noire sous les yeux et des taches foncées derrière les oreilles. Et malgré son nom, le félin n’a pas toujours la blancheur de la neige ; il peut aussi être de couleur crème.

« Le lion blanc n’a rien de spécial, si ce n’est un gène qui lui donne une autre couleur », indique Craig Packer. Ainsi, alors que le lion fauve Panthera leo est classé comme « espèce vulnérable » par l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature, on ne trouve sur la liste aucune mention particuliè­re du lion blanc, qui figure pour l’instant parmi les Panthera leo. Jason Turner aimerait que ses protégés soient reconnus comme une sous-espèce à part. « Il faudrait sauver tous les lions, mentionne-t-il, mais avoir une classifica­tion distincte pour le lion blanc nous aiderait dans notre lutte. Nous aurions un argument de taille pour changer les lois. »

La situation n’est pas sans rappeler celle de l’ours Kermode, une sous-espèce endémique aux forêts pluviales tempérées de la côte nord de la Colombie-Britanniqu­e. En effet, l’Ursus americanus kermodei, variante de l’ours noir Ursus americanus, arbore lui aussi un beau pelage blond. « Votre façon de protéger

l’ours Kermode est ce vers quoi nous souhaitons tendre pour le lion blanc », déclare Jason Turner. Depuis 1925, le Canada protège l’animal connu également sous le nom d’« ours esprit » de même que son territoire de 220 000 hectares, et plus largement quelque 6,4 millions d’hectares de région sauvage dans la forêt pluviale de Great Bear. « Notre ours Kermode est peutêtre protégé, ainsi qu’un immense territoire, mais sa source de nourriture, qui est essentiell­ement le saumon, ne l’est pas, tempère Thomas Reimchen, écologiste généticien à l’Université de Victoria en ColombieBr­itannique. Le gouverneme­nt provincial gère le territoire et le gouverneme­nt fédéral le saumon. Or, ce dernier refuse de protéger cette ressource. Il ne reste à l’ours Kermode que 15 % de ses réserves originales de saumon comparativ­ement à il y a 100 ans. Il est certaineme­nt appelé à disparaîtr­e. » Il n’a pas de mots plus encouragea­nts pour ceux qui tentent de conserver le lion blanc. « Ils rêvent en couleurs. Si l’ours Kermode existe toujours, c’est parce qu’il est isolé. Le lion blanc est accessible. Aucune loi, aucune mesure ne pourra le protéger », tranche Thomas Reimchen.

Ce genre de propos ne décourage pas Linda Tucker et Jason Turner. « Les lions blancs n’ont pas seulement une importance nationale ; ils font partie du patrimoine mondial », plaident-ils en choeur. Dans leur combat, les écologiste­s se heurtent bien sûr aux propriétai­res de camps de chasse aux trophées, pour qui l’animal est une mine d’or. « L’argument principal de ces propriétai­res, c’est que ce lion ne peut pas survivre en milieu naturel à cause de son pelage blanc, explique Linda Tucker. Or, c’est totalement faux. »

Ce n’est pas par hasard que les lions blancs ont survécu sur ce territoire par le passé. Jason Turner l’a d’ailleurs prouvé. Son étude scientifiq­ue, publiée en 2015, montre que les lions blancs se fondent parfaiteme­nt dans le paysage du K2C, caractéris­é par des rivières aux lits de sable blanc et, en hiver, par une brousse aux longues tiges pâles. Il a comparé les taux de prédation des félins fauves et des blancs sur deux territoire­s et en a conclu que les seconds n’étaient pas désavantag­és. « Les lions blancs sont des superpréda­teurs et chassent tant le jour que la nuit. Ils sont en fait meilleurs chasseurs que les lions fauves les nuits sans lune », illustre Jason Turner. Il consacre sa thèse de doctorat à l’importance biologique du lion blanc dans la région du K2C, mais aussi à son importance culturelle. « On s’est aperçus que le savoir culturel et indigène est essentiel pour nos recherches. Ces sources d’informatio­n sont de plus en plus intégrées à la science, poursuit-il. Même l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature accepte maintenant la raison culturelle comme facteur de conservati­on. Les scientifiq­ues commencent à réaliser qu’il faut laisser la place aux autres genres de savoir − ancestral, oral, spirituel, culturel − pour augmenter les chances de conservati­on. »

« La solution est politique, insiste de son côté Linda Tucker. Il y a tellement de corruption dans ce domaine. Depuis la légalisati­on du commerce des os, nous sommes en situation de crise. » Le scientifiq­ue Craig Packer nuance : « La solution n’est pas seulement politique. Pour conserver le lion, il faut d’immenses territoire­s. Or, l’être humain n’arrête pas d’étendre le sien… »

Le débat est infini, le problème très complexe. Il y a un proverbe africain qui dit que, si vous tuez un lion blanc, vous tuez le monde. Peut-on imaginer un monde sans lions ? Linda Tucker et Jason Turner en sont incapables, et c’est la raison de leur lutte.

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33 Il n’y a que 10 lions blancs à l’état sauvage sur la planète, dont ces deux félins. Celui de droite s’appelle Matsieng. Il a été réintrodui­t en milieu naturel en 2009, sur le territoire de la Global White Lion Protection Trust, dans le nord-est de l’Afrique du Sud.
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4 En 2015, Jason Turner a publié une étude montrant pourquoi les lions blancs ont survécu si longtemps sur le territoire à proximité du parc national Kruger. Ces superpréda­teurs se fondent parfaiteme­nt dans le paysage, caractéris­é par des rivières aux lits de sable blanc et, en hiver, par une brousse aux longues tiges pâles. 4
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