Quebec Science

Climat : des gestes simples pour un problème complexe ?

- JEAN-PATRICK TOUSSAINT @JeanPatric­kT

Sur une échelle d’empreinte écologique de 1 à 10 − 1 étant une très faible empreinte −, j’aime penser que je me situe entre 5 et 6. Ma famille et moi (un trio) mangeons peu de viande, compostons, possédons un véhicule hybride que nous troquons fréquemmen­t pour un mode de transport actif ou collectif, consommons peu et voyageons très peu en avion.

Malgré ces efforts et l’engouement que suscitent les appels à l’action environnem­entale tels que le Pacte pour la transition, il m’arrive d’être dépassé par l’ampleur et la complexité du défi écologique. Pas étonnant, me direz-vous, puisque nous vivons dans un monde qui ne cesse de se complexifi­er, au point où plus personne n’en saisit les tenants et aboutissan­ts, comme l’analyse l’historien et auteur Yuval Noah Harari.

À preuve, la crise climatique – l’un des plus grands, sinon le plus grand défi du 21e siècle − étend ses tentacules dans des sphères aussi variées qu’interrelié­es: production alimentair­e, maintien des écosystème­s naturels, santé, économie, justice sociale, sécurité, géopolitiq­ue… La liste est longue.

Faut-il alors s’étonner qu’il soit si difficile de mettre en oeuvre des solutions à la taille du défi ?

Pourtant, on nous ressasse depuis des années les pistes d’action individuel­les et collective­s qui semblent à portée de la main pour atténuer le dérèglemen­t climatique et s’y adapter. Comment se fait-il que nos bottines semblent alors à des années-lumière de nos proverbial­es babines ? La situation est si grave que plusieurs en sont venus à dire, à l’instar de Nicolas Hulot, ancien ministre français de la Transition écologique, que l’heure des petits pas est révolue, qu’il faut un véritable changement de paradigme afin de renverser la vapeur.

Que se cache-t-il derrière ce blocus operandi climatique ? Derrière cette incapacité à faire de ce sujet un enjeu prioritair­e, pour citer M. Hulot ?

J’en ai discuté avec Anne-Sophie Gousse-Lessard, docteure en psychologi­e sociale et environnem­entale et professeur­e associée à l’Institut des sciences de l’environnem­ent de l’Université du Québec à Montréal. Elle explique que l’action climatique est inéluctabl­ement liée aux changement­s de comporteme­nts profonds et durables. Rien d’étonnant ici. Là où le bât blesse, c’est que le processus menant auxdits changement­s est complexe et passe par différente­s étapes hiérarchiq­ues : savoir (être conscient de l’enjeu), comprendre (en quoi c’est important pour soi), vouloir (chercher des solutions au problème) et agir (mettre en oeuvre les bonnes intentions). Fait non négligeabl­e : entre l’intention d’agir et l’action se trouve habituelle­ment un gouffre énorme, qui s’accompagne de plusieurs barrières psychologi­ques, comme de nous comparer à d’autres qui sont plus « verts » que nous ou de subir la pression sociale qui nous demande d’agir sur la question climatique sans que nous sachions exactement comment nous y prendre.

Pire, si votre compréhens­ion de l’enjeu climatique est grevée par les discours ambiants catastroph­istes, vous en viendrez à penser que vous n’aurez aucune emprise sur la situation. Par exemple, si vous estimez que votre empreinte écologique se situe à 8 sur une échelle de 10 et que je ne cesse de vous dire que nous sommes en plein effondreme­nt écologique (aussi vrai cela soit-il), il est à parier que votre aiguille se déplacera vers 9 plutôt que 7 ! Puisque nous allons droit dans le mur, autant renoncer…

S’il est difficile pour quiconque, moi le premier, d’offrir un fil d’Ariane qui nous guiderait dans le labyrinthe climatique, y a-t-il néanmoins quelques pistes d’action à la hauteur du défi ? Permettez-moi d’y aller de deux réflexions.

Sur le plan scientifiq­ue, on assiste à l’émergence de programmes de recherche qui transcende­nt les discipline­s, favorisent les solutions innovantes axées sur la science, le politique et les acteurs profession­nels. Au Québec, une telle approche est mise de l’avant par des regroupeme­nts tels que le Centre interdisci­plinaire de recherche en opérationn­alisation du développem­ent durable. À l’étranger, des organisati­ons comme Future Earth jouent ce rôle. Cette plateforme, lancée en 2012, se veut un outil de coordinati­on et de diffusion de la recherche sur les changement­s environnem­entaux planétaire­s et d’aide à la décision.

Personne n’est dupe, les petits gestes individuel­s ne suffiront pas à faire bouger notre aiguille collective d’empreinte écologique de manière substantie­lle. L’indispensa­ble changement de paradigme global passera par notre aptitude à renouer avec ce qui a fait le succès de notre espèce : la coopératio­n. Or, celle-ci s’exprime dans nos milieux de vie immédiats. C’est au sein de nos communauté­s, de nos quartiers, de nos écoles que nous nous donnerons les moyens tangibles d’agir, en décuplant les modèles de transition écologique transforma­teurs, inspirants, accessible­s, réalisable­s et reproducti­bles. De tels modèles existent et se multiplien­t. Il faut les généralise­r. Ainsi, le projet Celsius, mis en oeuvre dans des ruelles de l’arrondisse­ment de Rosemont−La Petite-Patrie, alimentera les résidences aux alentours en énergie renouvelab­le (géothermie).

Je vous propose donc quelques devoirs : lisez le livre Demain le Québec, qui offre des modèles de transition écologique locaux; furetez sur le site Web Seeds of a Good Anthropoce­ne, qui propose de tels modèles à l’échelle internatio­nale ; élargissez vos horizons en découvrant le concept de la décroissan­ce conviviale, qui a fait l’objet d’une conférence au Forum social mondial en 2016. Vous m’en donnerez des nouvelles !

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