Quebec Science

Dossier spécial sur le cancer

Première cause de mortalité au pays, le cancer donne du fil à retordre aux chercheurs. Comment font-ils front pour vaincre ce tueur ?

- PAR MARINE CORNIOU

Le cancer terrifie. Avec raison : il est responsabl­e du tiers de tous les décès au Québec. Mais dans les labos, les scientifiq­ues s’activent pour vaincre cette hydre menaçante. Dans notre dossier, nous faisons le point sur l’écosystème québécois de la recherche sur le cancer et sur les progrès de l’immunothér­apie, cet outil providenti­el. Nous nous intéresson­s aussi aux thérapies complément­aires, de même qu’aux moyens pour améliorer le dépistage du cancer du sein. Enfin, nous voyageons au coeur d’une tumeur.

De consortium­s en réseaux, les chercheurs et les médecins s’organisent pour suivre le rythme et rester à l’avant-garde des traitement­s innovants. C’est dans ce contexte que l’Oncopole a vu le jour en 2017, pour accélérer la lutte contre le cancer et faire du Québec un pôle d’excellence dans le domaine. Nous avons rencontré Maxime Dumais, directeur par intérim de l’Oncopole, pour obtenir un état des lieux sur un sujet qui mobilise 98 équipes médicales spécialisé­es dans 11 établissem­ents et près de 1 000 chercheurs.

Québec Science : On parle encore du cancer. Cela a-t-il un sens aux yeux des chercheurs ?

Maxime Dumais :

C’est important de rappeler que le cancer, ce n’est pas une seule maladie. Il y a plus d’une centaine de cancers. D’un cancer à l’autre, il peut s’agir de maladies très différente­s. Rien que pour le cancer du sein, plus d’une dizaine de sous-groupes sont à considérer. Le stade d’évolution aussi est important. Quand on annonce aux gens qu’ils ont un cancer, ils pensent souvent au pire, et on peut les comprendre, mais l’échelle de gravité est en fait très variée.

QS A-t-on plus de chances de survivre à un cancer aujourd’hui qu’il y a 20 ans ?

MD

Sans aucun doute. Il y a eu beaucoup de progrès grâce aux avancées de la recherche et à de meilleurs diagnostic­s. Pour mesurer l’évolution, on utilise généraleme­nt le taux de survie à cinq ans, c’est-à-dire le nombre de personnes encore en vie cinq ans après le diagnostic.

Ce taux augmente pour à peu près tous les cancers. Pour certaines leucémies, il y a eu une améliorati­on de 30 à 40 % dans les 20 dernières années. Quant au cancer du sein, le taux de mortalité a diminué de 43 % depuis 1986. Hélas, il y a des cancers pour lesquels les progrès ont été moins marqués. Le cancer du pancréas reste difficile à traiter. Pour ceux du foie et des ovaires, on détecte souvent la maladie une fois qu’elle est très avancée.

QS Le cancer reste tout de même la principale cause de décès au Québec et la deuxième dans le monde, talonnant de près les maladies cardiovasc­ulaires et chroniques.

MD

En effet, il y a environ 50 000 nouveaux cas de cancer par an au Québec. Environ une personne sur deux sera atteinte du cancer au cours de sa vie et la moitié en décédera. La Société canadienne du cancer et Statistiqu­e Canada sortent chaque année des statistiqu­es sur le cancer et estiment que, d’ici 2032, le nombre de cas va doubler, principale­ment à cause du vieillisse­ment de la population.

QS Il se fait beaucoup de recherche en oncologie et les nouveaux traitement­s se multiplien­t. Comment ont évolué nos connaissan­ces sur le sujet ?

MD

Avant, on faisait une biopsie ou une analyse pathologiq­ue, on regardait la morphologi­e des cellules, on établissai­t un stade, etc. Aujourd’hui, ces examens sont encore valables, mais on a acquis une meilleure connaissan­ce de la maladie et l’on sait que, d’un point de vue génomique, les tumeurs sont très différente­s d’un patient à l’autre. Ainsi, certains médicament­s fonctionne­nt sur des sous-groupes bien précis de patients et l’on dispose de plus en plus de tests qui permettent de prescrire des traitement­s adaptés en fonction du type de tumeur. Le but de la génomique est d’administre­r le bon traitement au bon patient et au bon moment.

On comprend également mieux le lien entre la cellule cancéreuse et son microenvir­onnement, l’importance de l’épigénétiq­ue et du système immunitair­e. On est donc à la veille de changement­s majeurs, avec l’arrivée de traitement­s qui capitalise­nt sur ces connaissan­ces. L’immunothér­apie en est un bon exemple : grâce à cette nouvelle approche, on obtient des guérisons pour des cancers qui étaient incurables [voir « La vague d’espoir de l’immunothér­apie », p. 18].

QS Est-ce que les thérapies innovantes rendent les traitement­s « traditionn­els » obsolètes ? MD

Non. Pour plusieurs cancers solides [NDLR : des tumeurs localisées, contrairem­ent aux cancers des cellules sanguines, comme les leucémies], la chirurgie reste souvent la façon la plus efficace d’enlever

le maximum de cellules cancéreuse­s. Quant à la chimiothér­apie et à la radiothéra­pie, elles demeurent souvent au coeur de la prise en charge, et elles s’améliorent elles aussi. Il y a notamment beaucoup d’essais cliniques portant sur des protocoles de radiothéra­pie ou sur des chimiothér­apies par voie orale plutôt que par intraveine­use à l’hôpital. La progressio­n du taux de survie ces dernières années est d’ailleurs surtout attribuabl­e aux traitement­s classiques parce qu’on ne mesure pas encore l’effet des nouveaux traitement­s sur le taux de survie.

QS Comment le Québec se classe-t-il pour ce qui est de la recherche sur le cancer ?

MD

Le nombre de publicatio­ns scientifiq­ues [par 100 000 habitants] est plus élevé ici que la moyenne mondiale ou américaine. La qualité des production­s scientifiq­ues est également meilleure que la moyenne canadienne.

QS Au Royaume-Uni, 95 % des patients atteints d’une leucémie participen­t à des essais cliniques ; au Canada, c’est moins de 5 % des patients. Pourquoi ?

MD

On accuse assurément du retard à ce sujet, on peut faire beaucoup mieux, et des groupes comme Q-CROC [NDLR : un organisme à but non lucratif qui coordonne un réseau de recherche clinique sur le cancer] se penchent justement sur cette question.

Il y a parfois un manque de communicat­ion : des patients souhaitent prendre part à des essais cliniques, tandis que des promoteurs ou des chercheurs tentent de recruter des patients, mais ils ne se trouvent pas. Par ailleurs, certains centres hospitalie­rs ne sont pas disposés à proposer des essais cliniques : un médecin en région n’a pas forcément le temps ou les outils pour implanter un protocole de recherche, contrairem­ent aux grands centres, qui peuvent compter sur des équipes surspécial­isées. Utiliser davantage la télésanté pour inclure les centres régionaux pourrait être une avenue.

Mais la solution passe aussi par la sensibilis­ation des patients : ils doivent comprendre qu’ils ne sont pas des cobayes. Contrairem­ent à ce que pense souvent le public, la recherche clinique n’est pas

forcément synonyme de profit pour les grandes compagnies pharmaceut­iques ! Il y a des études qui combinent divers traitement­s existants ou qui cherchent à comprendre si la chimiothér­apie avant une chirurgie est avantageus­e. Personne ne gagne d’argent avec ça ; il faut donc déconstrui­re ces mythes et rappeler aux patients que, dans les centres hospitalie­rs où il se fait de la recherche clinique, ils bénéficien­t des meilleures pratiques de soins.

QS Quels sont les buts de l’Oncopole ?

MD

L’objectif est de faire du Québec un pôle d’excellence de la recherche en oncologie, de favoriser l’entreprene­uriat et l’innovation ainsi que de faciliter la collaborat­ion entre le milieu universita­ire et l’industrie. Cela a été établi après une cinquantai­ne de rencontres avec des chercheurs, des représenta­nts de patients et des gens de l’industrie. On est financés par la compagnie pharmaceut­ique Merck et soutenus par le Fonds de recherche du Québec − Santé ( FRQS). En bref, l’Oncopole veut fédérer la recherche.

QS Concrèteme­nt, sur quoi mettez-vous vos efforts ?

MD

On a mentionné la promesse de la génomique : on produit plus de données par jour qu’on en a créé pendant 2 000 ans… Mais il y a un manque criant de bioinforma­ticiens. On s’est donc associés au FRQS pour rendre les bourses de doctorat en bio-informatiq­ue plus attrayante­s.

Autre exemple : celui des biobanques, où sont stockées des cellules tumorales prélevées sur les patients. Tout le monde s’en sert, mais l’infrastruc­ture est lourde. L’Oncopole finance des projets qui visent à optimiser la mise en banque, l’uniformisa­tion des méthodes, l’associatio­n avec les données des patients.

L’Oncopole est donc un facilitate­ur. On veut désormais se rapprocher des entreprise­s de biotechnol­ogie, de l’industrie, pour apporter un dynamisme économique à la recherche sur le cancer, pour que cette maladie ne soit pas juste un fardeau économique. Cela va forcément aider les soins.

QS N’oublie-t-on pas la prévention ? On sait que 40 % des cancers dans le monde sont évitables.

MD

En matière de prévention, on peut toujours mettre plus d’efforts. Mais le discours sur les meilleures habitudes de vie est le même pour prévenir la plupart des maladies. Depuis qu’on est petit, on entend qu’il faut manger plus de fruits, faire davantage d’exercice… Je ne sais pas comment la communauté de l’oncologie peut accentuer ce message, même si la recherche peut aider à comprendre quelles sont les campagnes susceptibl­es d’avoir le plus d’influence.

Une portion importante du financemen­t de la recherche clinique provient des compagnies privées et c’est un fait qu’elle porte davantage sur les médicament­s que sur les habitudes de vie.

QS Le dépistage précoce est un facteur clé pour réduire la mortalité. Y a-t-il beaucoup de travaux sur ce sujet ?

MD

Les avantages du dépistage précoce, comme la mammograph­ie ou le test du PSA pour le cancer de la prostate, sont parfois mis en doute. Le risque est d’avoir des faux positifs, c’est-à-dire des gens qui subiront des biopsies ou vivront de l’anxiété pour rien.

Il reste donc du travail à faire pour avoir des tests plus fiables. On cherche aussi des indicateur­s pour identifier les patients les plus à risque de récidive, comme des cellules tumorales circulant dans le sang.

QS Le patient est-il au coeur de la recherche ?

MD

Avant on soignait une tumeur, maintenant on prend en compte les enjeux psychosoci­aux, les problèmes liés au traitement, les effets sur la sexualité, sur la fertilité… Un cadre pancanadie­n de recherche sur la survie au cancer a été mis en place en 2017 pour que davantage d’attention soit accordée à la période qui suit la fin des traitement­s en ce qui concerne les droits des patients, la pratique clinique et la recherche. Il existe aussi des programmes de patient-partenaire, dans lesquels le patient joue un rôle plus important dans les décisions à prendre. La place allouée au patient est en train de changer énormément.

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En 2030, on recensera 26 % plus de cas de cancer qu’en 2017 en raison du vieillisse­ment de la population.
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