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LE CABINET DES CURIOSITÉS

Une collection de fruits en décomposit­ion fabriqués en verre refait surface à l’Université Harvard. Par Audrey-Maude Vézina

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Une collection de fruits en décomposit­ion fabriqués en verre refait surface à l’Université Harvard.

Couverts de tavelures et de moisissure­s, les fruits pourris conservés derrière des vitres de plexiglas, au Musée d’histoire naturelle de l’Université Harvard, suscitent non pas le dégoût mais la fascinatio­n. « Les visiteurs les regardent et se disent : “Ah oui, j’ai vu ça sur mon prunier à la maison !” Et les modèles sont si réalistes que les gens pensent que ce sont des vrais », raconte Donald Pfister, conservate­ur au Farlow Library and Herbarium of Cryptogami­c Botany à Harvard et spécialist­e des champignon­s.

En effet, ce sont des répliques de fruits en décomposit­ion qui ont été commandées il y a près de 100 ans par George Goodale, premier directeur du musée de botanique de l’université américaine. Il voulait les utiliser comme outils d’apprentiss­age à l’intention des étudiants, mais aussi pour informer le public des maladies qui peuvent frapper les plantation­s d’arbres fruitiers. Gardés sous clé depuis plus de 20 ans, ces fruits à nul autre pareils revoient la lumière du jour le temps d’une exposition temporaire. On peut y voir une vingtaine de modèles qui illustrent des symptômes de maladies courantes des plantes agricoles et l’effet des moisissure­s.

Ils sont l’oeuvre de l’artisan verrier Rudolf Blaschka qui, avec son père Léopold, est connu pour ses représenta­tions plus vraies que nature d’invertébré­s marins et de fleurs (de ces dernières, il a tiré 4 300 modèles de près de 800 espèces !). Inspiré par les vergers à proximité de son atelier en Allemagne, il a confection­né ses fruits flétris entre 1924 et 1932. Il avait recours à une technique particuliè­re : il façonnait le verre grâce à une structure en fil de fer. « Si vous regardez le fruit, vous avez l’impression que c’est du verre soufflé, mais la plupart d’entre eux sont pleins et assez lourds », souligne Donald Pfister, aussi professeur de botanique à l’Université Harvard. Pour bien imiter la surface des fruits avariés, Rudolf Blaschka broyait du verre de différente­s teintes et l’appliquait au pinceau. Il chauffait ensuite l’ensemble pour refondre la poudre colorée.

Les résultats de ce travail minutieux servent encore aujourd’hui à l’enseigne

ment. Donald Pfister les présente à ses étudiants afin qu’ils observent l’effet des champignon­s sur les fruits.

Parmi les nombreux fruits exposés, les visiteurs affectionn­ent particuliè­rement les fraises moisies. « C’est si réaliste que les gens peuvent associer directemen­t le rendu à ce qui se produit lorsqu’ils gardent leurs fraises un peu trop longtemps », plaisante le biologiste.

Donald Pfister a lui aussi son modèle préféré : la cloque du pêcher, une maladie fongique qui provoque le plissement et le froissemen­t des feuilles de l’arbre. « C’est très beau parce qu’on voit des feuilles saines et atteintes sur la même branche. Et chaque feuille est différente. Quand je pense à tout le travail derrière la fabricatio­n de ce modèle, je suis impression­né ! »

La pêche momifiée par le champignon

Monilinia fructigena fascine également le biologiste. En présence du parasite, le fruit se ratatine sur l’arbre et développe une résistance à la décomposit­ion microbienn­e. Le champignon se protège de cette façon et survit jusqu’à la saison suivante. « Les fruits infectés sont appelés “momies”, indique Donald Pfister. L’analogie est très intéressan­te, car les momies d’Égypte ont été traitées et enveloppée­s pour prévenir la putréfacti­on. Nous retrouvons la même chose dans la nature. »

En mars 2020, la précieuse collection retournera en sécurité dans son entrepôt. D’ici là, si vous êtes de passage sur le campus de l’Université Harvard, courez admirer ce curieux verger, qui met en scène la fragilité des cultures.

 ??  ?? PEACH WITH MONILINIA FRUCTIGENA ET PRUNUS PERSICA, MODEL 808, RUDOLF BLASCHKA, 1929. PHOTOS DE BETHANY CARLAND-ADAMS, HARVARD MUSEUMS OF SCIENCE & CULTURE.
PEACH WITH MONILINIA FRUCTIGENA ET PRUNUS PERSICA, MODEL 808, RUDOLF BLASCHKA, 1929. PHOTOS DE BETHANY CARLAND-ADAMS, HARVARD MUSEUMS OF SCIENCE & CULTURE.
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