Carnet de santé Par Alexandra S. Arbour
Le temps des fêtes approchant à grands pas, permettez-moi de vous raconter un petit miracle de Noël auquel j’ai eu la chance d’assister à l’hôpital. Mme Trépanier, à l’âge vénérable de 97 ans, se présente au service des urgences par un 15 décembre frisquet. Elle arrive sur une civière, car elle est tombée à la maison. Seule chez elle, elle était heureusement munie d’un bouton d’alerte médicale au poignet. Ainsi, les ambulanciers ont pu venir la chercher sans délai.
Depuis quelques semaines, Mme Trépanier souffre d’un mal étrange. Elle fait des « crises » : elle perd connaissance et revient à elle parfois dans son fauteuil, parfois au sol. Suivent un état de confusion, des étourdissements et des nausées, qui durent plusieurs heures. Cette fois-ci, en tombant, elle s’est fracturé le nez. Nous décidons de l’hospitaliser à l’unité de gériatrie.
Nos hypothèses diagnostiques sont multiples: syncope d’origine cardiaque, épilepsie, hypersensibilité des sinus carotidiens. Mme Trépanier se prête à tous les tests : échographie cardiaque, prises de sang répétées, électroencéphalogramme, tomodensitométrie cérébrale. Mais tous les résultats s’avèrent négatifs. Les « crises » se poursuivent à l’hôpital, presque tous les jours, devant nos yeux incrédules.
Cette patiente, pourtant mère d’un clan de cinq enfants, est toujours seule à l’hôpital, en plein congé des fêtes… Nous avons donc fait appel aux membres de sa famille dans l’espoir de recueillir de nouvelles informations. « Miraculeusement », nous n’avons pas eu besoin de les interroger. Dès qu’ils se sont présentés à son chevet, se relayant jour après jour, les « crises » sont complètement disparues.
Le diagnostic final est crève-coeur : notre patiente souffrait simplement de solitude.
Se sentir seul − ou même le fait de vivre seul − pose des risques réels pour la santé : décès prématuré, maladies cardiovasculaires, dénutrition, troubles du sommeil, troubles anxiodépressifs, déclin cognitif accéléré et j’en passe. Les chiffres sont accablants. Plus du tiers de nos aînés vivent en solo et la même proportion n’aurait aucun contact hebdomadaire avec sa famille. Un aîné sur cinq n’a aucun proche. Zéro. Nada.
La solution : sensibiliser, certes, mais intégrer, surtout. Des initiatives en ce sens se multiplient. L’organisme Les Petits Frères, qui exhorte la population à « aller voir ses vieux », a d’ailleurs mis sur pied un système de jumelage : des bénévoles rendent une visite amicale à un aîné isolé toutes les deux semaines afin de créer un lien durable. L’été dernier, une première garderie a ouvert ses portes dans un CHSLD de la région de Québec, permettant ainsi des échanges intergénérationnels bénéfiques autant pour les plus jeunes que pour les plus âgés. Le gouvernement britannique, de son côté, est allé encore plus loin, créant en 2017 un ministère de la Solitude pour s’attaquer à cet enjeu.
Mais il subsiste un obstacle important à l’intégration : l’âgisme. Je le vois dans le regard de ceux qui me demandent quelle spécialité médicale j’ai choisie. « La gériatrie ? Moi, je ne pourrais jamais faire ça. Bien trop déprimant! » Cette réponse banale, j’ai dû l’entendre une vingtaine de fois. C’est un moindre mal, car un médecin croisé pendant ma résidence m’a carrément dit que mon choix de carrière était un « gaspillage de talent et d’expertise ». Pour Noël, je me fais le cadeau de vous parler de Mme Trépanier, dont le mal − pas si mystérieux finalement − a été guéri par l’un des plus anciens médicaments qui soient : la chaleur humaine. Et le vrai miracle de Noël serait de vous avoir convaincu d’en mettre sous le sapin d’un aîné.