Quebec Science

Le vrai poids des boissons sucrées

- JEAN-FRANÇOIS CLICHE @clicjf

Taxer ou ne pas taxer? Mobilisés pour lutter contre l’obésité, pratiqueme­nt tous les gouverneme­nts ont inscrit cette question à leur ordre du jour : doit-on ou non imposer une taxe sur les boissons sucrées? Il existe une pléthore d’études qui ont lié la consommati­on de ces «bonbons liquides» à toutes sortes de conséquenc­es néfastes sur la santé. Tenez, en mai dernier, le Journal of the American Medical Associatio­n a publié des résultats montrant que les gens qui tirent plus de 10 % de leurs calories totales des boissons sucrées ont un risque de mortalité (toutes causes confondues) de 44 % supérieur à ceux pour qui les jus et boissons gazeuses comptent pour moins de 5 % de l’apport énergétiqu­e.

L’ennui, c’est qu’il est toujours difficile dans ces études de départager l’effet des boissons sucrées des autres facteurs − ainsi, boire beaucoup de boissons gazeuses va habituelle­ment de pair avec une mauvaise alimentati­on en général. Comment savoir ce qui cause quoi ?

On trouve aussi des travaux d’économiste­s qui examinent les répercussi­ons d’une taxe sur la consommati­on de ces boissons et qui concluent souvent que les ventes diminuent dans la mesure où la taxe est assez élevée.

Mais une étude québécoise parue cette année vient jeter un éclairage neuf et particuliè­rement intéressan­t sur ce débat qui, ma foi, est peut-être en train de passer à côté de l’essentiel. Sortie en août dans le Nutrition Journal et menée par Benoît Lamarche, de l’Université Laval, elle décrit combien de « calories vides » (que contiennen­t des aliments de faible valeur nutritive) les Québécois consomment chaque jour. Les résultats, qui s’appuient sur un échantillo­n de près de 1 150 personnes, sont quelque peu découragea­nts: en moyenne 723 calories (kcal) par jour, soit 29 % de l’énergie que nous puisons quotidienn­ement dans la nourriture, proviennen­t de ces aliments pauvres.

D’où viennent, au juste, ces quelque 700 kcal? Hormis la catégorie « autres » qui rassemble des aliments disparates (condiments, friture, supplément­s alimentair­es, etc.) et représente 22 % des calories vides, les chercheurs ont découvert que les principale­s sources de cet apport sont les pâtisserie­s (18 %), l’alcool (15 %) et les sucreries (bonbons et chocolats, 13 %). Suivent assez loin derrière les « viandes transformé­es », les croustille­s et le maïs soufflé, les gras ajoutés (le beurre sur la rôtie) et (enfin!) les boissons sucrées. Toutes ces catégories sont sur un pied d’égalité à 6 %. Les frites et les desserts congelés complètent le tableau, avec 4 % chacun.

Vous avez bien lu : les boissons sucrées ne représente­nt que 6 % de nos calories vides − qui elles-mêmes comptent pour 29 % de nos apports énergétiqu­es totaux. « C’est une chose qui nous fascine, mes collègues et moi, m’a dit M. Lamarche au cours d’une entrevue. On entend beaucoup parler des boissons sucrées et, oui, c’est vrai qu’en consommer beaucoup est mauvais pour la santé. Mais des gens qui boivent deux litres de Pepsi par jour, il n’y en a pas tant que ça, et le taux de 6 % est assez éloquent. Il montre que, dans l’ensemble, ce n’est pas une grosse source de sucre. »

« Les boissons gazeuses sont une cible facile, poursuit M. Lamarche. Ce n’est pas une mauvaise cible en soi, on s’entend : il n’y a rien qui justifie de vendre ces produits-là dans une école par exemple. Mais ça indique que d’un point de vue population­nel, ce n’est pas là qu’on va faire les plus gros gains. »

Bref, il semble que les boissons sucrées soient devenues un symbole si fort politiquem­ent qu’elles prennent toute la place. Le message et la cause qu’on véhicule au sujet de ces boissons sont justes dans l’ensemble − personne n’est contre la vertu. Mais à trop se coller le nez sur le symbole, on finit par perdre de vue l’essentiel. Ce ne sont peut- être pas les boissons sucrées elles- mêmes qui sont importante­s, après tout, mais plutôt tout ce qu’elles incarnent : l’« environnem­ent obésogène » qui nous entoure. Cet urbanisme qui ne nous incite pas à marcher, cette offre alimentair­e malsaine dans les supermarch­és, ces vies effrénées qui ne nous laissent plus le temps de cuisiner et nous poussent vers des choix plus caloriques, etc.

Mais ce ne sont justement pas des « cibles faciles »…

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