LE CABINET DES CURIOSITÉS
Pour mettre sur pied leurs expériences, les chercheurs ne manquent pas d’ingéniosité. La preuve en un mot-clic !
Comment les chercheurs détournent-ils des objets du quotidien pour mener à bien leurs expériences ?
Tout a commencé il y a deux ans lorsque John Birch, un Britannique satisfait de son achat sur Amazon, a attribué quatre étoiles à un modèle de boule à thé dans la section des commentaires de la plateforme. « En toute honnêteté, ces boules n’ont pas été utilisées pour infuser du thé, mais pour mener une expérience de zoologie avec des fourmis », écrit-il, précisant que la taille des trous est idéale pour empêcher les insectes de s’enfuir lorsqu’on les transfère d’une colonie à une autre. La critique aurait pu se perdre dans le flot des évaluations si une zoologiste écossaise, Robyn Womack, n’avait pas justement eu besoin ce dimanche-là d’une nouvelle boule à thé. Elle tombe sur le commentaire de John Birch, qu’elle trouve hilarant, et le publie sur Twitter avec le mot-clic #reviewforscience. Le lendemain, 23 000 personnes avaient partagé le gazouillis, invitant d’autres chercheurs à faire connaître leurs utilisations incongrues d’objets du quotidien. Depuis, des scientifiques font régulièrement part de leurs coups de coeur sur le Web, vantant entre autres les qualités du mélangeur Magic Bullet, très performant pour broyer des cerveaux de souris ou des crustacés ; l’utilité des raquettes de badminton pour pêcher et transporter des oursins ; ou les mérites d’une essoreuse à salade qui centrifuge à merveille les échantillons d’ADN. Leurs commentaires ne manquent pas de piquant ! « Cette poubelle a la taille parfaite pour attraper les porcs-épics », s’enthousiasme par exemple une chercheuse en écologie de l’Université d’État de l’Oregon. Elle mentionne toutefois que le bac est un peu encombrant quand la végétation est touffue et qu’il faut trouver un moyen de le fixer au sac à dos lorsqu’on grimpe aux arbres. Car oui, les porcs-épics passent beaucoup de temps dans les arbres. Il faut croire que les animaux donnent du fil à retordre aux chercheurs, car c’est la zoologie qui semble solliciter le plus leur imagination. Prenez ce vibromasseur rose fluo qui permet de « masser tout le corps » (humain), selon la description officielle du produit. À lire les commentaires des consommateurs, ses 10 vitesses ne leur procurent pas tant de plaisir… Mais elles sont un atout majeur pour attirer différentes espèces d’araignées hors de leur tanière, selon un zoologiste de Nottingham. Quant au thermomètre de la marque Signstek, modèle 6802, si jamais vous vous posiez la question, son embout s’insère facilement dans les cloaques des lézards, à en croire un autre biologiste ravi. Cela dit, le fameux système D s’applique à tous les domaines de la science. Si les paillettes enjolivent les dessins d’enfants, elles permettent aussi aux physiciens de suivre le déplacement de particules dans un fluide. Quant au sécateur de la marque Fiskars, « il est fantastique pour couper les cages thoraciques et il ne s’émousse pas même après des milliers d’autopsies », se réjouit une médecin légiste, qui lui a attribué cinq étoiles. Au- delà des blagues, le phénomène #reviewforscience est une illustration de la débrouillardise dont font preuve la plupart des scientifiques. En fait, le détournement d’objets et le « bricolage » sont des sujets auxquels la sociologie des sciences s’intéresse depuis longtemps, souligne Giulia Anichini, anthropologue au postdoctorat à l’IMT Atlantique de Nantes et membre du Réseau de recherches sur le numérique de l’Université du Québec à Montréal. « L’activité scientifique, comme toute autre activité, doit faire face à des contingences et y répond souvent avec des solutions ad hoc et du bricolage », explique-t-elle. Mais le souci d’économie n’est pas le seul moteur. « Ces pratiques sont loin d’être des “approximations”, elles sont souvent adoptées pour améliorer la performance d’un instrument et peuvent même s’avérer nécessaires pour atteindre les objectifs de l’expérience », dit la chercheuse, qui s’est notamment intéressée au bricolage d’objets au sein d’un centre d’imagerie en neurosciences. Qui sait, les scientifiques les plus créatifs sont peut-être aussi ceux qui ont un don pour le bidouillage… D’ailleurs, ces détournements occasionnent parfois des découvertes, en favorisant « l’apparition de nouveaux phénomènes : c’est la fameuse sérendipité », ajoute Giulia Anichini. Histoire de boucler la boucle, sachez que les boules à thé de John Birch ont permis d’évaluer le comportement de défense de fourmis mises en contact avec des individus d’une autre colonie. Les résultats de cette expérience ont été publiés en août 2019 dans la revue Insectes sociaux. Hélas, l’article ne mentionne pas le rôle crucial des boules à thé.