Éditorial
Chine, Iran, Brésil, Hongrie, États-Unis : la liste des pays qui attaquent la liberté de recherche ne cesse de s’allonger. Cela devrait tous nous inquiéter.
L’année 2019 a été marquée par l’instabilité et 2020 ne s’annonce guère mieux. Manifestations monstres, répressions sanglantes, fragilisation des institutions démocratiques, repli identitaire, montée du populisme : aucun continent n’est épargné. L’une des premières victimes de ces temps troubles est la liberté d’expression − et avec elle les libertés d’enseignement et de recherche.
Qu’entend-on par là ? Selon la définition de l’Unesco, les professeurs ont « la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale, la liberté d’effectuer des recherches et d’en diffuser et publier les résultats, le droit d’exprimer librement leur opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel ils travaillent, le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives ».
La liste des pays qui violent sans vergogne ces libertés ne cesse de s’allonger. En Iran, six scientifiques ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 4 à 10 ans après un procès mené à huis clos. Leur « crime » ? Avoir utilisé des caméras et des pièges photographiques pour étudier le léopard persan et le guépard asiatique, deux espèces en voie de disparition. Les autorités iraniennes sont persuadées que ces travaux dissimulaient une opération d’espionnage militaire. Parmi le groupe de chercheurs captifs se trouvait le professeur iranocanadien Kavous Seyed-Emami, décédé en prison il y a un an dans des circonstances nébuleuses.
En Inde, des professeurs et des étudiants ont été expulsés de leur université pour avoir exprimé des opinions jugées « antipatriotiques » et des centaines de chercheurs ont été brièvement emprisonnés à la suite d’une manifestation pacifique où ils demandaient une hausse des budgets de recherche. Au Brésil, le gouvernement de Jair Bolsonaro a coupé de façon draconienne dans les investissements en recherche et développement, en plus de multiplier les raids policiers sur les campus, ciblant les étudiants et les enseignants appartenant à des minorités. Aux États-Unis, les tensions avec la Chine se sont immiscées de manière insidieuse dans les laboratoires : les National Institutes of Health ont exigé une révision de certains projets dits « menacés par l’interférence d’entités étrangères », ce qui a conduit au congédiement de professeurs d’origine chinoise. Il est aussi plus difficile pour les étudiants et les scientifiques de l’empire du Milieu d’obtenir des visas d’études ou de travail. Plusieurs associations scientifiques sino-américaines dénoncent ouvertement ce « profilage racial ». De son côté, la Chine arrête et emprisonne un nombre croissant d’étudiants et de professeurs, et s’attaque particulièrement à ceux de la communauté ouïgoure.
L’organisation Scholars at Risk a recensé 324 entraves aux libertés d’enseignement et de recherche dans son rapport annuel de 2019 − une augmentation de 10 % comparativement à l’année précédente. Cinquante-six pays sont au banc des accusés, dont certains qu’on aurait cru protégés de ces dérives, comme la Pologne, la Hongrie, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande.
Il est facile d’ignorer cette tendance troublante, mais c’est oublier que la recherche est désormais internationale et que ces incidents, loin de se dérouler en vase clos, peuvent avoir des répercussions jusqu’ici. Jetez un oeil à notre sélection des 10 découvertes québécoises de l’année et vous constaterez rapidement que, si ces travaux sont dirigés par des chercheurs d’ici, ils reposent souvent sur des collaborations internationales. Il n’y a plus d’innovation sans coopération.
Il importe de s’élever contre ces infamies parce que « le discours critique n’est pas le signe d’un manque de loyauté ; les idées ne sont pas des crimes ; et tout le monde devrait avoir le droit de penser, de questionner et de partager ses idées », pour reprendre les mots des responsables de Scholars at Risk. Ainsi, les scientifiques sont en quelque sorte le proverbial canari dans la mine : s’ils ne peuvent plus laisser libre cours à leurs réflexions, qui d’entre nous le pourra ?