La fin d’une énigme génétique
LES PORTIONS GÉNOME INTRONS, JUSQU’ICI DU DES CONSIDÉRÉES COMME INUTILES, N’ASSURERAIENT FINALEMENT RIEN DE MOINS QUE LA SURVIE DES CELLULES PAR TEMPS DE DISETTE.
Àvos stylo rouge et liquide correcteur : les manuels de génétique sont désormais tous erronés, car ils affirment à tort que les introns, ces portions d’ADN qui ne contribuent à la production d’aucune protéine, seraient des aberrations encombrantes et peu utiles. Or, ce serait tout le contraire, selon des travaux menés dans le laboratoire du professeur Sherif Abou Elela, de l’Université de Sherbrooke.
Pour mieux comprendre ce qu’il en est, rappelons quelques notions. Dans une cellule, la fabrication d’une protéine fonctionne comme la préparation d’un plat. L’ADN, dans le noyau, c’est un peu comme l’ensemble des recettes disponibles sur un site Web de cuisine. Une fois la recette choisie, la cellule en imprime une copie, sous forme d’ARN, à laquelle elle se fie pour produire le mets désiré. Les introns, quant à eux, sont les bandeaux publicitaires du site : ils ne contribuent en rien à réussir le plat. Du moins, c’est ce qu’on croyait.
L’inutilité des introns était déjà partiellement remise en cause. Certains de ces petits segments non codants semblaient parfois avoir un effet sur la quantité ou la structure des protéines produites. Sauf que ce constat concernait seulement certains introns et gènes précis, souvent dans les organismes plus complexes comme les animaux.
« Pour les organismes, transcrire les introns représente vraiment une dépense d’énergie et de ressources épouvantable ! Mais si la nature les a conservés même dans les gènes où ils ne semblent pas avoir d’effets sur la protéine, il devait y avoir une bonne raison ; sinon, ils auraient été
éliminés avec l’évolution », souligne Julie Parenteau, professionnelle de recherche.
Cette bonne raison, l’équipe du laboratoire sherbrookois l’a révélée dans la revue Nature en janvier 2019, avec Mme Parenteau comme première auteure. L’étude démontre que les introns favoriseraient la survie des cellules lorsque l’accès aux nutriments est limité.
Pour faire cette découverte, les chercheurs sont partis d’une levure normale afin d’en créer 295 lignées presque identiques, au détail près qu’elles avaient chacune un intron en moins que la levure de départ. Or, peu importe quel intron était enlevé, l’effet était presque toujours le même dans un milieu pauvre en nutriments : les cellules modifiées proliféraient moins bien que la levure normale dans 94 % des cas, allant même jusqu’à disparaître complètement deux fois sur trois.
Ainsi, explique Sherif Abou Elela, les introns auraient pour fonction de signifier à l’organisme que les temps sont durs et qu’il vaut mieux ralentir le métabolisme pour économiser les réserves. Et comme les ressources sont généralement limitées dans la nature, les introns seraient vraisemblablement souvent utiles, d’où leur conservation obstinée.
« Jusqu’à maintenant, on justifiait l’existence des introns seulement par l’action que certains pouvaient avoir sur l’expression du gène où on les trouvait.
Maintenant, on sait qu’il faut les regarder comme des composants profitables en soi et pas seulement comme les esclaves de certains gènes », fait-il valoir.
Reste à déterminer par quel mécanisme ils influencent le métabolisme, question sur laquelle l’équipe se penche déjà…
///
Ont aussi participé à la découverte : Laurine Maignon, Mélodie Berthoumieux, Mathieu Catala et Vanessa Gagnon, de l’Université de Sherbrooke.
Problème écrit : vous avez 300 « amis » sur votre réseau social préféré. Si chacun d’eux a aussi 300 amis et que chacun de ceux-ci en a 300 autres, combien de personnes pouvez-vous joindre en trois clics ? Réponse : 27 millions. On ne parle pas de réseau pour rien − nous sommes ultra connectés.
« C’est un peu la même chose parmi les poissons des océans, compare Dominique Gravel. Sauf qu’ici on remplace les amis par des interactions entre prédateurs et proies. » Le professeur du Département de biologie de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie intégrative indique qu’il s’agit non pas de réseaux sociaux, mais de réseaux trophiques. Il vient d’en brosser le tableau pour toutes les mers du monde, en listant les interactions prédateurs-proies de 11 365 espèces de poissons marins, dans une étude publiée en juillet 2019 dans la revue Nature Ecology & Evolution.
« Comme chaque prédateur a plusieurs proies et que chaque proie compte plusieurs prédateurs, nous avons obtenu plus de sept millions d’interactions possibles », poursuit son collègue Philippe Archambault, professeur et chercheur en biologie à l’Université Laval, à Québec.
Les chercheurs ont ensuite superposé toutes ces interactions sur les différentes régions du globe afin de les cartographier. La surprise a été… globale. « On s’attendait à voir des modules, c’est-à-dire quelques régions avec beaucoup d’interactions internes et peu d’interactions avec les autres régions, explique Philippe Archambault. Au contraire, la connectivité des poissons marins est planétaire, comme dans un seul grand océan. »
En raison de la mobilité d’espèces migratrices ou de la répartition très large d’autres espèces, toutes les mers du monde sont reliées. « Le thon rouge mange des sardines dans la Manche et des maquereaux dans le golfe du Saint-Laurent ; les grands requins blancs chassent le saumon kéta en Alaska et l’espadon à Hawaii, donne en exemple Dominique Gravel. C’est comme un grand spaghetti d’interactions entre espèces partout sur la terre. Des poissons des zones polaires sont connectés à ceux des zones tempérées, subtropicales, équatoriales… »
Les données, entrées dans un modèle informatique, ont permis aux chercheurs de tester la robustesse du réseau. Ils ont joué aux exterminateurs et ont fait disparaître des espèces pour voir les conséquences de cette suppression sur le reste de l’écosystème. Deux constats paradoxaux ont émergé. « D’abord, dit Philippe Archambault, une perturbation même très locale peut se propager partout. La disparition d’une espèce en Méditerranée peut changer la donne au Chili. C’est un peu comme l’effet papillon en version sous-marine. »
« Mais en même temps, la multiplicité des connexions rend les écosystèmes très solides, ajoute Dominique Gravel. Il y a une redondance dans le réseau : lorsqu’une espèce disparaît, elle est remplacée par d’autres et le système s’adapte. Ainsi, dans le golfe du Saint-Laurent, des espèces ont pris la niche écologique de la morue franche, pratiquement éteinte. À tel point que, même si sa population augmentait, elle ne pourrait plus réintégrer le système. »
Est-ce à dire qu’il n’est pas grave de se livrer à la surpêche au point de mener des espèces au bord de l’extinction ? Non, bien sûr, répondent les deux chercheurs. « Nos modèles montrent qu’on peut supprimer une espèce, puis deux… Mais on finit toujours par atteindre un point de bascule au-delà duquel le système s’écroule. En ce moment, dans la réalité des océans, nous ignorons si nous sommes proches ou loin d’un point de bascule. Mais on l’atteindra immanquablement si la pêche continue au rythme actuel. »
///
Ont aussi participé à la découverte : Camille Albouy (Université Laval), David Beauchesne (UQAR), Kevin Cazelles (Université de Guelph), Marie-Josée Fortin (Université de Toronto), Timothée Poisot (universités de Montréal et McGill) et d’autres chercheurs d’établissements étrangers.