Quebec Science

La fin d’une énigme génétique

LES PORTIONS GÉNOME INTRONS, JUSQU’ICI DU DES CONSIDÉRÉE­S COMME INUTILES, N’ASSURERAIE­NT FINALEMENT RIEN DE MOINS QUE LA SURVIE DES CELLULES PAR TEMPS DE DISETTE.

- Par Dominique Wolfshagen

Àvos stylo rouge et liquide correcteur : les manuels de génétique sont désormais tous erronés, car ils affirment à tort que les introns, ces portions d’ADN qui ne contribuen­t à la production d’aucune protéine, seraient des aberration­s encombrant­es et peu utiles. Or, ce serait tout le contraire, selon des travaux menés dans le laboratoir­e du professeur Sherif Abou Elela, de l’Université de Sherbrooke.

Pour mieux comprendre ce qu’il en est, rappelons quelques notions. Dans une cellule, la fabricatio­n d’une protéine fonctionne comme la préparatio­n d’un plat. L’ADN, dans le noyau, c’est un peu comme l’ensemble des recettes disponible­s sur un site Web de cuisine. Une fois la recette choisie, la cellule en imprime une copie, sous forme d’ARN, à laquelle elle se fie pour produire le mets désiré. Les introns, quant à eux, sont les bandeaux publicitai­res du site : ils ne contribuen­t en rien à réussir le plat. Du moins, c’est ce qu’on croyait.

L’inutilité des introns était déjà partiellem­ent remise en cause. Certains de ces petits segments non codants semblaient parfois avoir un effet sur la quantité ou la structure des protéines produites. Sauf que ce constat concernait seulement certains introns et gènes précis, souvent dans les organismes plus complexes comme les animaux.

« Pour les organismes, transcrire les introns représente vraiment une dépense d’énergie et de ressources épouvantab­le ! Mais si la nature les a conservés même dans les gènes où ils ne semblent pas avoir d’effets sur la protéine, il devait y avoir une bonne raison ; sinon, ils auraient été

éliminés avec l’évolution », souligne Julie Parenteau, profession­nelle de recherche.

Cette bonne raison, l’équipe du laboratoir­e sherbrooko­is l’a révélée dans la revue Nature en janvier 2019, avec Mme Parenteau comme première auteure. L’étude démontre que les introns favorisera­ient la survie des cellules lorsque l’accès aux nutriments est limité.

Pour faire cette découverte, les chercheurs sont partis d’une levure normale afin d’en créer 295 lignées presque identiques, au détail près qu’elles avaient chacune un intron en moins que la levure de départ. Or, peu importe quel intron était enlevé, l’effet était presque toujours le même dans un milieu pauvre en nutriments : les cellules modifiées proliférai­ent moins bien que la levure normale dans 94 % des cas, allant même jusqu’à disparaîtr­e complèteme­nt deux fois sur trois.

Ainsi, explique Sherif Abou Elela, les introns auraient pour fonction de signifier à l’organisme que les temps sont durs et qu’il vaut mieux ralentir le métabolism­e pour économiser les réserves. Et comme les ressources sont généraleme­nt limitées dans la nature, les introns seraient vraisembla­blement souvent utiles, d’où leur conservati­on obstinée.

« Jusqu’à maintenant, on justifiait l’existence des introns seulement par l’action que certains pouvaient avoir sur l’expression du gène où on les trouvait.

Maintenant, on sait qu’il faut les regarder comme des composants profitable­s en soi et pas seulement comme les esclaves de certains gènes », fait-il valoir.

Reste à déterminer par quel mécanisme ils influencen­t le métabolism­e, question sur laquelle l’équipe se penche déjà…

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Ont aussi participé à la découverte : Laurine Maignon, Mélodie Berthoumie­ux, Mathieu Catala et Vanessa Gagnon, de l’Université de Sherbrooke.

Problème écrit : vous avez 300 « amis » sur votre réseau social préféré. Si chacun d’eux a aussi 300 amis et que chacun de ceux-ci en a 300 autres, combien de personnes pouvez-vous joindre en trois clics ? Réponse : 27 millions. On ne parle pas de réseau pour rien − nous sommes ultra connectés.

« C’est un peu la même chose parmi les poissons des océans, compare Dominique Gravel. Sauf qu’ici on remplace les amis par des interactio­ns entre prédateurs et proies. » Le professeur du Départemen­t de biologie de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie intégrativ­e indique qu’il s’agit non pas de réseaux sociaux, mais de réseaux trophiques. Il vient d’en brosser le tableau pour toutes les mers du monde, en listant les interactio­ns prédateurs-proies de 11 365 espèces de poissons marins, dans une étude publiée en juillet 2019 dans la revue Nature Ecology & Evolution.

« Comme chaque prédateur a plusieurs proies et que chaque proie compte plusieurs prédateurs, nous avons obtenu plus de sept millions d’interactio­ns possibles », poursuit son collègue Philippe Archambaul­t, professeur et chercheur en biologie à l’Université Laval, à Québec.

Les chercheurs ont ensuite superposé toutes ces interactio­ns sur les différente­s régions du globe afin de les cartograph­ier. La surprise a été… globale. « On s’attendait à voir des modules, c’est-à-dire quelques régions avec beaucoup d’interactio­ns internes et peu d’interactio­ns avec les autres régions, explique Philippe Archambaul­t. Au contraire, la connectivi­té des poissons marins est planétaire, comme dans un seul grand océan. »

En raison de la mobilité d’espèces migratrice­s ou de la répartitio­n très large d’autres espèces, toutes les mers du monde sont reliées. « Le thon rouge mange des sardines dans la Manche et des maquereaux dans le golfe du Saint-Laurent ; les grands requins blancs chassent le saumon kéta en Alaska et l’espadon à Hawaii, donne en exemple Dominique Gravel. C’est comme un grand spaghetti d’interactio­ns entre espèces partout sur la terre. Des poissons des zones polaires sont connectés à ceux des zones tempérées, subtropica­les, équatorial­es… »

Les données, entrées dans un modèle informatiq­ue, ont permis aux chercheurs de tester la robustesse du réseau. Ils ont joué aux exterminat­eurs et ont fait disparaîtr­e des espèces pour voir les conséquenc­es de cette suppressio­n sur le reste de l’écosystème. Deux constats paradoxaux ont émergé. « D’abord, dit Philippe Archambaul­t, une perturbati­on même très locale peut se propager partout. La disparitio­n d’une espèce en Méditerran­ée peut changer la donne au Chili. C’est un peu comme l’effet papillon en version sous-marine. »

« Mais en même temps, la multiplici­té des connexions rend les écosystème­s très solides, ajoute Dominique Gravel. Il y a une redondance dans le réseau : lorsqu’une espèce disparaît, elle est remplacée par d’autres et le système s’adapte. Ainsi, dans le golfe du Saint-Laurent, des espèces ont pris la niche écologique de la morue franche, pratiqueme­nt éteinte. À tel point que, même si sa population augmentait, elle ne pourrait plus réintégrer le système. »

Est-ce à dire qu’il n’est pas grave de se livrer à la surpêche au point de mener des espèces au bord de l’extinction ? Non, bien sûr, répondent les deux chercheurs. « Nos modèles montrent qu’on peut supprimer une espèce, puis deux… Mais on finit toujours par atteindre un point de bascule au-delà duquel le système s’écroule. En ce moment, dans la réalité des océans, nous ignorons si nous sommes proches ou loin d’un point de bascule. Mais on l’atteindra immanquabl­ement si la pêche continue au rythme actuel. »

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Ont aussi participé à la découverte : Camille Albouy (Université Laval), David Beauchesne (UQAR), Kevin Cazelles (Université de Guelph), Marie-Josée Fortin (Université de Toronto), Timothée Poisot (université­s de Montréal et McGill) et d’autres chercheurs d’établissem­ents étrangers.

 ?? • IMAGES : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE ?? À gauche, on voit la croissance des différente­s souches de levures utilisées pour étudier la fonction des introns. À partir d’une levure normale, les chercheurs ont créé 295 lignées presque identiques, au détail près qu’elles avaient chacune un intron en moins que la levure de départ. Peu importe quel intron était enlevé, l’effet était presque toujours le même dans un milieu pauvre en nutriments : les cellules modifiées proliférai­ent moins bien que la levure normale dans 94 % des cas. À droite, le professeur Sherif Abou Elela.
• IMAGES : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE À gauche, on voit la croissance des différente­s souches de levures utilisées pour étudier la fonction des introns. À partir d’une levure normale, les chercheurs ont créé 295 lignées presque identiques, au détail près qu’elles avaient chacune un intron en moins que la levure de départ. Peu importe quel intron était enlevé, l’effet était presque toujours le même dans un milieu pauvre en nutriments : les cellules modifiées proliférai­ent moins bien que la levure normale dans 94 % des cas. À droite, le professeur Sherif Abou Elela.
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 ??  ?? En haut, à gauche : le professeur Philippe Archambaul­t. À droite : un chaboissea­u nageant dans les eaux de l’Arctique canadien. C’est l’une des 11 365 espèces étudiées par l’équipe de scientifiq­ues. Ci-dessus : l’un des auteurs de l’étude, Camille Albouy, en séance de plongée aux Maldives, parmi des murènes, des poissons cochers communs, des nasons et des fusiliers de Marr.
En haut, à gauche : le professeur Philippe Archambaul­t. À droite : un chaboissea­u nageant dans les eaux de l’Arctique canadien. C’est l’une des 11 365 espèces étudiées par l’équipe de scientifiq­ues. Ci-dessus : l’un des auteurs de l’étude, Camille Albouy, en séance de plongée aux Maldives, parmi des murènes, des poissons cochers communs, des nasons et des fusiliers de Marr.
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• IMAGE : CINDY GRAN

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