Quebec Science

Une batterie pas comme les autres

GRÂCE DE GÉOTHERMIE, SPÉCIALIST­ES AUX TRAVAUX CHAUFFER DE LA LES VILLAGES DU GRAND NORD QUÉBÉCOIS AVEC DE L’ÉNERGIE SOLAIRE STOCKÉE DANS LE SOUSSOL N’EST PLUS UNE IDÉE TIRÉE PAR LES CHEVEUX.

- Par Maxime Bilodeau

Le diésel est partout dans le Grand Nord québécois : il alimente centrales thermiques, fournaises et autres chaudières qui font désordre dans les vastes étendues blanches. Sans son précieux apport, les quelque 13 000 habitants des 14 communauté­s du Nunavik ne pourraient notamment pas réchauffer leur eau. Survivre sans diésel est impensable. Chaque année, à Kuujjuaq, ce sont 54 000 L de ce carburant qui brûlent dans les chaudières.

Jasmin Raymond, professeur au Centre Eau Terre Environnem­ent de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue ( INRS), et son stagiaire postdoctor­al Nicolò Giordano veulent réduire cette dépendance au diésel. Ils misent sur les énergies renouvelab­les et sur une mystérieus­e « batterie thermique », située 30 m sous terre. « Le stockage thermique souterrain permet d’accumuler de l’énergie sous nos pieds pendant l’été, alors que sa production par le solaire est possible. Puis, durant l’hiver, on utilise l’énergie stockée pour chauffer des bâtiments », explique Jasmin Raymond, titulaire de la Chaire de recherche sur le potentiel géothermiq­ue du Nord à l’INRS.

La technologi­e est déjà employée un peu partout. Mais on ignorait si elle pouvait être implantée au-delà du 55e parallèle, où de larges pans du sous- sol sont gelés en permanence. Leur étude, publiée dans la revue Applied Energy, démontre que oui. Ils ont attaqué la question avec des modélisati­ons − la technologi­e n’est pas encore assez avancée pour être implantée −, non sans d’abord s’être rendus à Kuujjuaq pour y échantillo­nner des sols adjacents à un lac duquel les habitants tirent leur eau. Puis ils ont évalué les propriétés thermiques de ces sols. Finalement, ils ont effectué des analyses géophysiqu­es afin de déterminer la dispositio­n optimale des échangeurs de chaleur, ces forages de 105 mm de diamètre dans lesquels on insère des tuyaux où circule de l’eau qui distribue la chaleur.

Les deux chercheurs ont ainsi pu concevoir un modèle capable de prédire les performanc­es d’un système de stockage thermique souterrain dans des conditions de climat subarctiqu­e. Leurs simulation­s sont encouragea­ntes : il est possible de combler 50 % des besoins en chauffage de l’eau potable du village en hiver grâce à la chaleur produite par des panneaux solaires pendant l’été. On parle d’économies annuelles de l’ordre de 7 000 L de diésel ! « Selon nos simulation­s, l’injection de chaleur fait passer la températur­e du sous-sol de 1 °C à environ 25 °C à la fin de l’été. Le cycle s’inverse quand on retire cette chaleur pendant la saison froide, au bout de laquelle la températur­e redescend à 5 °C », analyse Nicolò Giordano.

La prochaine étape : établir un système de démonstrat­ion au Nunavik même. Le défi est de taille, car le coût de forage pour cette technologi­e, qui est d’environ 900 000 $ dans le sud du Québec, serait de l’ordre de 1,8 million dans le Nord. Sans parler de l’absence d’expertise locale et d’équipement de forage sur place. Le jeu en vaut néanmoins la chandelle : les économies à long terme sur les coûts de chauffage de divers bâtiments sont alléchante­s et l’on diminuerai­t la dépendance de ces communauté­s aux livraisons de combustibl­e du Sud. « La technologi­e pourrait théoriquem­ent être utilisée pour chauffer les arénas, les centres communauta­ires et même les serres destinées à l’agricultur­e nordique » , indique Nicolò Giordano, optimiste.

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• IMAGE : CHRYSTEL DEZAYES Nicolò Giordano, la doctorante Mafalda Miranda et Jasmin Raymond mesurent la températur­e du sous-sol dans un puits.
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• IMAGE : JASMIN RAYMOND Nicolò Giordano et Ines Kanzari, une étudiante, installent un système de localisati­on par satellite.
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• IMAGE : CHRYSTEL DEZAYES Analyse des carottes de forage pour évaluer la stratigrap­hie du sous-sol.

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