De longs fleuves tranquilles ?
Le fleuve Colorado prend sa source dans les Rocheuses, traverse cinq États américains et se jette dans le golfe de Californie, au Mexique. Ou plutôt s’y jetait. « Il y a plusieurs barrages sur ce fleuve et l’on y puise beaucoup d’eau pour l’irrigation des terres agricoles et la consommation. Si bien que son lit est complètement asséché à la hauteur du golfe », indique Günther Grill, chercheur postdoctoral au Département de géographie de l’Université McGill et auteur principal d’un article paru en mai dans Nature où sont cartographiées les rivières à courant libre dans le monde. Par « rivières à courant libre » , on désigne celles qui ont maintenu les services qu’elles rendent aux écosystèmes en raison de leurs connexions naturelles encore intactes avec les autres rivières. Cela permet la libre circulation d’eau, de matière, d’espèces et d’énergie dans le réseau hydrographique. Vous l’aurez compris, le fleuve Colorado ne coule plus en toute liberté. Un cas unique ? Pas du tout ! L’équipe internationale a analysé 12 millions de kilomètres de cours d’eau. Constat : des 246 plus grandes rivières, seulement 37 % s’écoulent encore librement. Et seulement 21 des 91 fleuves de 1 000 kilomètres ou plus ont gardé leur lien direct à l’océan. Amorcé il y a une dizaines d’années par Bernhard Lehner, professeur au Dé
partement de géographie de la même université, ce projet a pu être mené à bien principalement grâce aux données du Shuttle Radar Topography Mission de la NASA. Ces images radar prises sous deux angles ont permis d’obtenir un tableau en 3D de la surface du globe, avec ses vallées fluviales. Auparavant, d’un pays à un autre, les images disponibles des rivières étaient de qualité et de résolutions très variables − lorsque ce n’était pas des cartes maison ! −, donc rarement concordantes.
Un nettoyage de ces données a tout de même été nécessaire pour calculer les accumulations d’eau sur le territoire. « Les données de la NASA comprenaient la surface des ponts et les sommets des bâtiments. En outre, les plaines souvent inondées, comme en Amazonie, sont difficiles à mesurer et
SEULEMENT LE TIERS DES GRANDES RIVIÈRES DU MONDE COULENT ENCORE LIBREMENT. LE GRAND COUPABLE : LA CONSTRUCTION DE BARRAGES, QUI A LE VENT DANS LES VOILES.
l’on ne voyait pas à travers les nuages », explique Günther Grill.
Puis, l’équipe s’est penchée sur les différentes activités humaines et a évalué leurs répercussions. Les barrages et les réservoirs sont les principaux responsables de la perte des accès à l’océan. Selon l’étude, il existe quelque 60 000 grands barrages et plus de 3 700 autres sont prévus ou en construction.
« Pour réduire leur empreinte carbone, plusieurs pays se tournent vers l’hydroélectricité, constate le chercheur. Mais les barrages produisent aussi du carbone, particulièrement dans les climats chauds, puisque la végétation inondée émet du méthane pendant sa décomposition accélérée. Étant donné que les énergies solaire et éolienne sont devenues plus abordables, les décideurs doivent considérer ces options avant d’opter pour un barrage. »
Lorsque le recours à l’hydroélectricité s’impose, l’équipe de chercheurs propose un outil d’aide à la décision pour connaître les conséquences écologiques de la construction d’un barrage.
« Notre modèle permet d’estimer les différentes combinaisons de barrages pour arriver aux meilleurs résultats avec le moins d’effets négatifs possible, mentionne Günther Grill. C’est un outil très puissant et nous aimerions que les gouvernements et les ingénieurs s’en servent pour leurs projets. »
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Ont aussi participé à la découverte : Heloisa Ehalt Macedo et Florence Tan (Université McGill) ainsi que plusieurs chercheurs d’établissements étrangers.