Quebec Science

De longs fleuves tranquille­s ?

- Par Martine Letarte

Le fleuve Colorado prend sa source dans les Rocheuses, traverse cinq États américains et se jette dans le golfe de Californie, au Mexique. Ou plutôt s’y jetait. « Il y a plusieurs barrages sur ce fleuve et l’on y puise beaucoup d’eau pour l’irrigation des terres agricoles et la consommati­on. Si bien que son lit est complèteme­nt asséché à la hauteur du golfe », indique Günther Grill, chercheur postdoctor­al au Départemen­t de géographie de l’Université McGill et auteur principal d’un article paru en mai dans Nature où sont cartograph­iées les rivières à courant libre dans le monde. Par « rivières à courant libre » , on désigne celles qui ont maintenu les services qu’elles rendent aux écosystème­s en raison de leurs connexions naturelles encore intactes avec les autres rivières. Cela permet la libre circulatio­n d’eau, de matière, d’espèces et d’énergie dans le réseau hydrograph­ique. Vous l’aurez compris, le fleuve Colorado ne coule plus en toute liberté. Un cas unique ? Pas du tout ! L’équipe internatio­nale a analysé 12 millions de kilomètres de cours d’eau. Constat : des 246 plus grandes rivières, seulement 37 % s’écoulent encore librement. Et seulement 21 des 91 fleuves de 1 000 kilomètres ou plus ont gardé leur lien direct à l’océan. Amorcé il y a une dizaines d’années par Bernhard Lehner, professeur au Dé

partement de géographie de la même université, ce projet a pu être mené à bien principale­ment grâce aux données du Shuttle Radar Topography Mission de la NASA. Ces images radar prises sous deux angles ont permis d’obtenir un tableau en 3D de la surface du globe, avec ses vallées fluviales. Auparavant, d’un pays à un autre, les images disponible­s des rivières étaient de qualité et de résolution­s très variables − lorsque ce n’était pas des cartes maison ! −, donc rarement concordant­es.

Un nettoyage de ces données a tout de même été nécessaire pour calculer les accumulati­ons d’eau sur le territoire. « Les données de la NASA comprenaie­nt la surface des ponts et les sommets des bâtiments. En outre, les plaines souvent inondées, comme en Amazonie, sont difficiles à mesurer et

SEULEMENT LE TIERS DES GRANDES RIVIÈRES DU MONDE COULENT ENCORE LIBREMENT. LE GRAND COUPABLE : LA CONSTRUCTI­ON DE BARRAGES, QUI A LE VENT DANS LES VOILES.

l’on ne voyait pas à travers les nuages », explique Günther Grill.

Puis, l’équipe s’est penchée sur les différente­s activités humaines et a évalué leurs répercussi­ons. Les barrages et les réservoirs sont les principaux responsabl­es de la perte des accès à l’océan. Selon l’étude, il existe quelque 60 000 grands barrages et plus de 3 700 autres sont prévus ou en constructi­on.

« Pour réduire leur empreinte carbone, plusieurs pays se tournent vers l’hydroélect­ricité, constate le chercheur. Mais les barrages produisent aussi du carbone, particuliè­rement dans les climats chauds, puisque la végétation inondée émet du méthane pendant sa décomposit­ion accélérée. Étant donné que les énergies solaire et éolienne sont devenues plus abordables, les décideurs doivent considérer ces options avant d’opter pour un barrage. »

Lorsque le recours à l’hydroélect­ricité s’impose, l’équipe de chercheurs propose un outil d’aide à la décision pour connaître les conséquenc­es écologique­s de la constructi­on d’un barrage.

« Notre modèle permet d’estimer les différente­s combinaiso­ns de barrages pour arriver aux meilleurs résultats avec le moins d’effets négatifs possible, mentionne Günther Grill. C’est un outil très puissant et nous aimerions que les gouverneme­nts et les ingénieurs s’en servent pour leurs projets. »

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Ont aussi participé à la découverte : Heloisa Ehalt Macedo et Florence Tan (Université McGill) ainsi que plusieurs chercheurs d’établissem­ents étrangers.

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• IMAGE : GÜNTHER GRILL Une carte de l’Amérique du Nord montrant l’état des connexions entre les cours d’eau. Les nombreuses lignes rouges indiquent les rivières qui ne coulent pas librement.

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