LA VIE EN FLUO
Ils sont bruns, beiges, kaki, gris, noirs. Mais dirigez des rayons UV ou de la lumière bleue sur certains organismes vivants et des tons éclatants apparaîtront. Pourquoi tant de coquetterie ?
On connaît bien les animaux bioluminescents comme les lucioles, qui produisent de la lumière grâce à une réaction chimique. Mais la biofluorescence, soit le fait de se teinter d’une couleur étonnante sous l’influence du rayonnement ultraviolet (UV) ou de lumière bleue, est un peu moins connue. Plusieurs chercheurs se penchent sur le sujet et leurs découvertes semblent les étonner autant que nous !
Les premières folies fluo repérées dans la nature concernaient des substances trouvées chez des plantes. Dès 1845, sir John Herschel remarque qu’une solution incolore de quinine devient d’une « couleur bleue céleste vive et belle » sous un certain éclairage. Des chercheurs ont plus tard noté que la chlorophylle apparaît rouge sous la lumière bleue, au crépuscule par exemple.
Envie de renverser votre conception du monde ? Traînez une banane dans une boîte de nuit équipée de blacklights − qui sont en fait des UV. Elle arborera un joli bleu, une découverte qui ne date que de 2008 ! Des travaux plus récents ont montré que cette couleur serait le fait de phénols insolubles dans la paroi de cellules du fruit.
Passons aux lichens, ces organismes pas banals formés d’un champignon vivant en symbiose avec une algue. La fluorescence est si commune parmi eux que la lampe UV fait partie des outils de base pour les étudier depuis les années 1950. « Ils émettent une fluorescence de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ! assure Troy McMullin, lichénologue au Musée canadien de la nature, à Ottawa.
Les jaunes sont très communs, tout comme les oranges et les mauves. C’est le reflet des substances chimiques qu’ils contiennent. »
Car les lichens sont de véritables usines : ils libèrent plus d’un millier de composés qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la nature et certains sont fluorescents. À quoi servent-ils ? Probablement à protéger le lichen des insectes, à lui permettre de survivre dans les pires conditions et de se nourrir à même l’atmosphère. « Mais on ne connaît pas les mécanismes » derrière ces propriétés, dit M. McMullin. La fluorescence n’aurait donc pas forcément de fonction ; ce pourrait être un effet secondaire de ces mécanismes.
C’est justement en utilisant une lampe UV pour examiner le lichen d’une forêt du Wisconsin qu’une équipe a découvert que le pelage des polatouches (ou écureuils volants, qui vivent aussi
au Québec) émet un beau rose ! Il s’agit d’une caractéristique très rare chez les mammifères – seuls les opossums sont également fluorescents, et l’article de 1983 à propos de cette découverte les qualifie de « psychédéliques » ! −, alors que plusieurs cnidaires, poissons et arthropodes sont bien connus pour cette propriété.
Toujours dans le règne animal, le bec et le tour des yeux du macareux moine, un oiseau qu’on peut observer en Gaspésie, aux îles de la Madeleine et sur la Côte-Nord, en jette sous les rayons ultraviolets : un bleu fluo apparaît, selon des chercheurs.
Sans oublier les amphibiens : une équipe américaine a récemment procédé à un grand relevé de 32 espèces de salamandres, grenouilles et cécilies (dépourvues de membres). Jennifer Y. Lamb et Matthew P. Davis, de l’Université d’État de Saint Cloud, ont constaté qu’elles étaient toutes fluorescentes d’une façon ou d’une autre − peau, os, sécrétions − et à tous les stades de développement.
Est-ce que les animaux distinguent ces couleurs dans la nature ? La lumière bleue et les UV existent dans l’environnement, après tout. « Il faut garder en tête que nous, les humains, voyons le monde d’une certaine façon, mais les autres espèces le voient peut-être très différemment », rappelle la professeure Lamb, qui est herpétologiste. Une étude a ainsi montré récemment que les colibris perçoivent les ultraviolets.
Il y a plus éclaté encore, nous apprend Matthew Davis, spécialiste de la biologie évolutive. « Les poissons-dragons des profondeurs Malacosteus produisent euxmêmes une lumière bleue et l’absorbent pour la réémettre en fluorescence rouge. Ces systèmes les aident à chasser. »
Les humains ne sont pas en reste : ongles et dents sont fluorescents. Sans oublier les microorganismes présents sur notre peau. « Ça grouille de monde ! » rigole le professeur Davis.