Quebec Science

Après le côlon irritable, le SIBO

Des symptômes souvent associés au syndrome du côlon irritable cachent parfois un autre trouble digestif moins connu : le SIBO.

- Par Isabelle Delorme

Les chercheurs s’intéressen­t de plus en plus au microbiote et aux milliards de bactéries qui le constituen­t, essentiell­es au bon fonctionne­ment du corps humain. Pour autant qu’elles se trouvent au bon endroit ! Lorsque les bactéries prolifèren­t dans l’intestin grêle, les conséquenc­es peuvent grandement altérer la qualité de vie. Cette proliférat­ion bactérienn­e est connue sous l’acronyme anglo-saxon SIBO (pour small intestinal bacterial overgrowth). « Ce n’est pas un problème de qualité des bactéries, mais une multiplica­tion de bactéries normales à un endroit qui n’est pas normal », résume Mickael Bouin, gastroenté­rologue au Centre hospitalie­r de l’Université de Montréal. En se multiplian­t dans l’intestin grêle, ces bactéries − qui consomment des glucides − produisent des gaz (hydrogène, méthane…) qui peuvent être à l’origine de symptômes variés : ballonneme­nts, flatulence­s, constipati­on et diarrhée en alternance ou même des symptômes extradiges­tifs comme de la fatigue ou des difficulté­s de concentrat­ion.

Ces symptômes ressemblen­t à ceux du syndrome du côlon irritable, ce qui rend la délimitati­on diagnostiq­ue difficile. Les deux troubles se chevauchen­t d’ailleurs souvent et leur lien est encore discuté dans la communauté scientifiq­ue, tout comme la prévalence du SIBO, qui reste non déterminée. Cette proliférat­ion bactérienn­e intestinal­e est connue depuis longtemps, même si tous les praticiens ne sont pas suffisamme­nt spécialisé­s pour la reconnaîtr­e, selon Michaël Bensoussan, gastroenté­rologue à l’hôpital Charles-Le Moyne. Mais au cours des dernières années, la progressio­n des connaissan­ces dans le domaine du microbiote a renforcé l’intérêt pour cette affection. Ainsi, des travaux menés par le Dr Bouin ont montré que les personnes atteintes de pancréatit­e chronique ou de cirrhose biliaire primitive sont davantage touchées.

L’origine du SIBO n’est pas pour autant élucidée. Plusieurs facteurs pourraient y prédispose­r, comme un traitement au long cours d’inhibiteur­s de la pompe à protons (souvent prescrits pour soulager le reflux gastrique) ou des troubles de la motilité de l’intestin grêle. Le diagnostic est également fort complexe. Pour y parvenir, on utilise deux méthodes : l’aspiration et l’analyse bactériolo­gique du liquide contenu dans le jéjunum, une partie de l’intestin grêle. Les gastroenté­rologues leur préfèrent toutefois une technique plus simple et non invasive : un test respiratoi­re pour analyser les gaz expirés par le patient après ingestion de glucose ou de lactulose. L’excès d’hydrogène et de méthane, uniquement produits par les microorgan­ismes, est révélateur.

Cet outil diagnostiq­ue est néanmoins critiqué. « Le test au glucose est facile à effectuer, mais il peine à atteindre la partie distale de l’intestin grêle et l’on estime qu’il est positif sur environ un tiers des patients seulement, explique le Dr Satish Rao, professeur à l’Université d’Augusta, aux États-Unis. Quant au test au lactulose, je ne l’utilise pas, car il entraîne un taux élevé de faux positifs. Compte tenu de ce problème de fiabilité, le SIBO suscite encore beaucoup de scepticism­e. »

Pour surmonter ces écueils, le Dr Rao teste actuelleme­nt une capsule à avaler mise au point par l’entreprise canadienne StarFish Medical. C’est « un minilabora­toire microbiolo­gique révolution­naire pour détecter les bactéries », résume-t-il. Les premiers résultats d’essais in vitro seront dévoilés à l’automne. S’ils sont concluants, ils pourraient être suivis de tests sur l’être humain au printemps 2021.

Pour l’heure, Michaël Bensoussan considère que, dans la pratique clinique, un résultat positif au test respiratoi­re est suffisant pour tenter un traitement des patients.

DES SYMPTÔMES PERSISTANT­S

Des antibiotiq­ues, comme la rifaximine ou le métronidaz­ole, sont le traitement de choix. Le Dr Rao estime qu’un tiers de ses patients guérit avec une seule prescripti­on. Mais les récidives demeurent fréquentes tant que la cause du trouble chronique n’est pas réglée, constate Mickael Bouin. « ll faut souvent essayer de traiter la dysfonctio­n sous-jacente qui favorise la proliférat­ion bactérienn­e, précise le gastroenté­rologue. À l’origine, il y a souvent une mauvaise motilité de l’intestin grêle. Certaines maladies de dégénéresc­ence musculaire ou neurologiq­ue ou encore une perte de neurones empêchent l’intestin de bien fonctionne­r. » Il sera alors difficile de régler le problème définitive­ment, puisque très peu de médicament­s permettent à l’intestin grêle de recouvrer sa motilité. Cela dit, il est possible de traiter ponctuelle­ment la proliférat­ion en cas de récidive, rappelle le Dr Bouin. De plus, une médication accélérant le transit intestinal peut aider le patient.

Michaël Bensoussan a pour sa part recours à un ensemble de mesures qui permettent d’améliorer le confort digestif de ses patients, comme une cure de probiotiqu­es et la diète FODMAP (pauvre en glucides fermentesc­ibles, elle est souvent recommandé­e aux patients atteints du syndrome du côlon irritable). «Nous sommes dans la médecine empirique, pas dans la médecine fondée sur des preuves », souligne le gastroenté­rologue, pour qui les nombreuses recherches menées sur le microbiote permettron­t certaineme­nt d’obtenir des progrès. Les chercheurs n’ont pas fini d’explorer les bactéries hébergées dans notre tube digestif.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada