La peur au ventre
Le printemps 2020 restera gravé dans ma mémoire à jamais. J’ai constaté comme vous l’hécatombe dans les CHSLD qui a emporté tant de nos aînés. En tant que future gériatre, j’aurais bien aimé mettre l’épaule à la roue… mais je n’ai pas pu. Pourquoi? Disons simplement que j’avais la tête − ou plutôt le bedon − ailleurs. Le printemps 2020 restera gravé dans ma mémoire à jamais, car c’est aussi celui où je suis devenue maman.
Dès la mi- février, j’ai été mise à l’écart pour terminer ma grossesse à l’abri du coronavirus. À l’époque − et encore aujourd’hui −, les connaissances quant aux effets de la COVID-19 sur les femmes enceintes et leurs poupons étaient embryonnaires (sans jeu de mots). Le principe de précaution s’imposait. J’ai donc assisté aux débuts de la pandémie devant mon petit écran, affligée d’une vive « coronanxiété ». nd
Pendant ce temps, les travailleurs de la santé étaient, eux, directement exposés à l’incertitude. Y aurait-il assez de lits pour accueillir tous les malades? assez d’équipements de protection individuelle ? D’ailleurs, ces équipements seraient-ils adéquats pour les protéger? Certains sont devenus des bourreaux de travail pour ne pas y penser. D’autres ont tenté d’atténuer les conséquences de l’anxiété avec l’alcool, comme en témoigne une récente enquête de l’Institut national de santé publique du Québec.
Le vin n’étant pas une option pour moi, j’ai tenté de gérer l’inconnu autrement. À l’instar des autorités de santé publique, j’ai établi quelques « scénarios » d’accouchement : un pessimiste, un optimiste et un entre les deux. L’approche par scénarios est une recette éprouvée lorsqu’il est essentiel de considérer l’incertitude dans des situations hautement complexes, comme une pandémie ou les changements climatiques. Malgré tout, dès que les contractions ont commencé, les scénarios ont disparu et la peur au ventre a pris le dessus, au sens propre comme au sens figuré.
Je me suis mise en route pour la salle d’accouchement par un après-midi gris du mois d’avril. L’hôpital, d’habitude foisonnant de vie 24 heures sur 24, avait des allures postapocalyptiques. Le silence, les gardiens de sécurité et tout ce personnel masqué n’avaient rien de rassurant. Ce fut le choc de la réalité : je n’avais pas prévu qu’un si petit microbe ferait ombrage à un si grand moment de ma vie. Si mon coeur était déjà rempli d’amour pour ce petit être à venir, ma tête, elle, débordait de questions. Comment se passeraient les premiers jours de bébé dans un monde sens dessus dessous ? Quand ses grands-parents pourraient-ils le cajoler ? Quelles seraient les répercussions à long terme de grandir dans une société où le masque et les deux mètres de distance seraient de mise ?
Grâce aux contractions − que je remercie chaudement −, j’ai cessé de penser à la COVID19 pendant mon accouchement. J’ai plutôt mis en oeuvre les conseils de mon équipe soignante, qui semblait avoir eu la note de l’Organisation mondiale de la santé relative à la communication en temps de pandémie. On y apprend que l’incertitude est inévitable et qu’elle a le potentiel de mener à la peur et à la panique. Certaines stratégies peuvent aider à la dissiper. Être transparent, communiquer explicitement et se centrer sur l’action. « Poussez, madame ! On se lave les mains ! »
Je n’aurais jamais pensé faire de rapprochement entre l’arrivée d’un nouveau virus et la naissance d’un premier enfant. N’empêche que ces deux évènements suscitent beaucoup d’inquiétude sur les plans personnel, familial, professionnel et sociétal. Mais là s’arrête toute forme de comparaison… Je ne sais pas pour vous, mais je préfère de loin les chatouilles et les bisous !