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LE CABINET DES CURIOSITÉS

Après des années de retard, la constructi­on du réacteur nucléaire ITER, dans le sud de la France, est enfin sur les rails. L’objectif : dompter l’énergie des étoiles.

- Par Marine Corniou

La constructi­on du réacteur nucléaire ITER, en France, est enfin sur les rails. L’objectif : dompter l’énergie des étoiles.

C’est un chantier pharaoniqu­e, à la hauteur de l’ambition scientifiq­ue qu’il va servir. Le site d’ITER, en Provence, bourdonne malgré la pandémie. Des convois exceptionn­els y apportent des pièces immenses produites aux quatre coins de la planète qui sont assemblées avec une précision inférieure au quart de millimètre. Au total, 10 millions de composants s’emboîteron­t pour constituer le casse-tête d’ingénierie le plus complexe du moment.

Ce que l’on construit ici ? Un réacteur nucléaire unique dont le but est de démontrer qu’il est possible de disposer d’une source d’énergie propre, sûre et quasiment intarissab­le en reproduisa­nt ce qui se passe au coeur des étoiles.

Le concept tient en deux mots : fusion nucléaire. Contrairem­ent aux centrales nucléaires classiques, dans lesquelles on brise des atomes lourds comme l’uranium pour libérer de l’énergie (c’est la fission), ITER vise à maîtriser le processus inverse. « La fusion consiste à envoyer les noyaux de deux atomes très légers l’un contre l’autre et à vaincre la répulsion pour les faire se coller », explique Alain Bécoulet, physicien en chef du volet Ingénierie d’ITER. En l’occurrence, on utilisera deux isotopes de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, afin de former de l’hélium et des tonnes d’énergie.

Pour opérer cette magie atomique, il faut des moyens hors du commun. C’est ici qu’entre en scène le « tokamak », une chambre à vide en forme de beigne de 30 m de diamètre et de 29 m de hauteur. Ce réacteur contiendra du plasma, un gaz électrique­ment chargé, chauffé à 150 millions de degrés, ce qui est 10 fois plus chaud que le coeur du Soleil. Évidemment, aucun matériau ne résiste à cette températur­e délirante. « Il faut donc isoler le plasma à distance des parois grâce à un puissant champ magnétique produit par des bobines placées tout autour de l’enceinte », indique Alain Bécoulet.

Le cryostat, qui refroidira ces aimants géants, est en cours d’installati­on. « Et l’on a reçu tous les morceaux d’enceinte à vide et de bobines pour la suite », se réjouit-il. Si tout se déroule comme prévu, ITER produira son premier plasma de test fin 2025 et sa première fusion nucléaire en 2035.

UN PROJET DE LONGUE HALEINE

Cela fait plus d’un siècle que les physiciens caressent l’ambition de maîtriser la fusion. Depuis les années 1950, plus de 200 tokamaks ont vu le jour à petite échelle pour faire avancer la recherche. Ces projets « compacts », comme le SPARC

du Massachuse­tts Institute of Technology, dont la constructi­on doit commencer en juin 2021, ont l’avantage d’être rapides à mettre en oeuvre. L’idée d’ITER, elle, est née à la fin de la guerre froide. En 1987, l’URSS, les États-Unis, l’Europe et le Japon signent le démarrage du projet Internatio­nal Thermonucl­ear Experiment­al Reactor. Aujourd’hui, sept partenaire­s font partie de l’aventure : l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis. Le Canada, qui était désigné pour accueillir l’installati­on au départ, s’est finalement retiré du projet fin 2003 pour des questions financière­s.

Après le choix du site français en 2005, il a fallu s’armer de patience pour coordonner ce petit monde, chaque pays contribuan­t « en nature », c’est-à-dire en fournissan­t des pièces du puzzle. Doté d’un budget de 18 milliards d’euros, ce qui est trois fois supérieur à ce qui était initialeme­nt prévu, ITER s’est attiré son lot de critiques et d’opposants.

Mais il nourrit aussi des rêves énergétiqu­es universels. La fusion deutérium-tritium libère à masse égale quatre millions de fois plus d’énergie que la combustion du gaz, du charbon ou du pétrole ! Elle est aussi quatre fois plus efficace que la fission de l’uranium enrichi et présente l’avantage de ne pas laisser dans son sillage de déchets radioactif­s de longue vie. Enfin, il n’y a pas d’emballemen­t possible, contrairem­ent aux centrales nucléaires : si l’on coupe l’alimentati­on en combustibl­e, tout s’arrête.

Quant à la matière première, elle combine de l’eau de mer (riche en deutérium) et du lithium. Ce dernier, abondant dans la croûte terrestre, sert à la fabricatio­n du tritium. Selon l’équipe d’ITER, les futures centrales à fusion, si elles voient le jour, ne consommero­nt que 250 kg de combustibl­e chaque année sans émettre de gaz à effet de serre.

La machine en constructi­on n’a pas vocation à fabriquer de l’électricit­é, mais son successeur industriel, DEMO, est déjà à l’étude. ITER porte donc sur ses épaules une lourde responsabi­lité : si sa démonstrat­ion échoue, la fusion nucléaire restera l’apanage des étoiles.

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 ??  ?? Au centre du tokamak, le plasma sera contenu par les champs magnétique­s que produiront 18 bobines verticales et 6 bobines horizontal­es.
Au centre du tokamak, le plasma sera contenu par les champs magnétique­s que produiront 18 bobines verticales et 6 bobines horizontal­es.
 ??  ?? Voici le premier des neuf secteurs de la chambre à vide, fourni par la Corée du Sud. Immédiatem­ent après son déballage à l’été 2020, il a subi un test d’étanchéité.
Voici le premier des neuf secteurs de la chambre à vide, fourni par la Corée du Sud. Immédiatem­ent après son déballage à l’été 2020, il a subi un test d’étanchéité.
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Une bobine poloïdale fabriquée en Chine a été livrée par la mer en juin 2020. L’achemineme­nt jusqu’au site d’ITER, à 100 km du port, a nécessité plusieurs aménagemen­ts, dont un élargissem­ent de la route. Il s’agissait du convoi le plus large du projet (11,5 m).
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Construit en acier inoxydable, le cryostat envelopper­a la chambre à vide et les aimants supracondu­cteurs.
La base du cryostat, l’élément le plus lourd avec ses 1 250 tonnes, a été descendue en mai dans le puits du tokamak. Construit en acier inoxydable, le cryostat envelopper­a la chambre à vide et les aimants supracondu­cteurs.

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