L’impérialisme scientifique de la Chine
Les Chinois s’imposent sur l’échiquier scientifique mondial. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Le27 mai 1983, au palais de l’Assemblée du peuple à Beijing, 18 étudiants ont reçu les premiers diplômes de doctorat remis par la Chine. De l’inédit depuis la fin de la Révolution culturelle, qui avait réduit la science au silence. Dès lors, le pays a connu un essor scientifique et technologique prodigieux.
Ses chercheurs publient désormais davantage d’articles que leurs homologues américains, connus pour l’abondance de leur contribution. Les universités chinoises sont propulsées par des dépenses en recherche et développement qui croissent à un rythme ahurissant. Le pays accumule les exploits : il est le premier à avoir exploré la face cachée de la Lune avec sa sonde Chang’e 4 et il franchit à vive allure les étapes menant à la création d’un Internet quantique. Et il ne se fait pas prier pour combler le manque de leadership des États-Unis dans divers secteurs, promettant de devenir carboneutre d’ici 2060 et de fournir des vaccins contre la COVID-19 à de nombreux pays. Mais surtout, l’empire du Milieu déploie ses nouvelles routes de la soie, la Belt and Road Initiative (BRI).
Au coût estimé de 1 000 milliards de dollars américains, ce réseau tentaculaire de voies maritimes et terrestres relie quelque 130 pays. Bien entendu, la BRI a pour but de favoriser les échanges commerciaux, mais les partenariats scientifiques sont aussi au coeur de ses visées. L’empreinte financière chinoise est partout : des bourses pour des étudiants pakistanais ; de multiples projets de recherche sur la faune, la flore et l’agriculture à travers l’Afrique ; un nouveau centre d’océanographie au Sri Lanka ; des groupes de recherche en médecine traditionnelle chinoise dans des universités de Hongrie, du Monténégro et de la République tchèque ; un centre de recherche en astronomie à Santiago…
Doit-on se réjouir ou s’inquiéter de l’ascension scientifique chinoise ? De l’extérieur, le gouvernement du président Xi Jinping semble donner un coup d’épaule à l’avancement des connaissances. Comment s’opposer au noble exercice de la coopération scientifique ? Mais il suffit de gratter le vernis des prétentions de la BRI pour constater que ce soutien à la science n’est pas désintéressé. Dans une logique néocolonialiste, la Chine noue des accords avec des pays à revenu faible ou intermédiaire auxquels elle apporte son aide d’une main tout en les exploitant de l’autre : elle les tient à la gorge par des prêts exorbitants pour construire les infrastructures de la BRI (comme des ports) et moissonne au passage quantité de données précieuses sur les ressources naturelles et humaines étudiées dans les projets de recherche qu’elle finance.
Évidemment, la Chine s’en défend, mais les puissances occidentales continuent de voir cette déferlante scientifique et technologique d’un mauvais oeil. L’épineux dossier du réseau 5G de la compagnie chinoise Huawei illustre bien ces craintes : y voyant là une porte ouverte à l’espionnage, les États-Unis ont convaincu plusieurs de leurs alliés de ne pas implanter la technologie du géant des télécommunications (au moment d’écrire ces lignes, le Canada n’avait pris aucune décision ferme).
Sans sombrer dans la paranoïa, on peut se demander si une science provenant d’un régime autoritaire peut être considérée comme fiable, transparente et indépendante. Rappelons que, au début de la pandémie, la Chine a été accusée d’avoir tardé à partager la séquence du génome du SARS-CoV-2. En 2018, dans Foreign Policy, la physicienne Yangyang Cheng déclarait que, pour le Parti communiste chinois, le mot scientifique est « pratiquement synonyme de “politiquement approuvé” ». Cela fait écho à des propos de chercheurs chinois recueillis dans le cadre d’une étude publiée en 2018 dans PLOS ONE par des scientifiques américains. Plusieurs dénonçaient l’ingérence gouvernementale dans la recherche. « Il n’y a toujours pas assez de liberté de recherche dans l’enseignement supérieur. Si le gouvernement central fait une seule déclaration, même si elle n’est pas juste, toutes les universités doivent lui emboîter le pas », écrivait un chercheur. D’autres critiquaient le favoritisme dans l’attribution du financement de la recherche, de même que l’importance démesurée accordée au nombre de papiers publiés par les chercheurs. Pour les pousser à produire toujours davantage, les universités leur ont longtemps octroyé des récompenses financières. Une pratique qui a eu pour effet d’encourager la fraude et le plagiat − et d’inscrire la Chine sur la liste des pays ayant le plus de rétractations d’articles à leur actif. Une réputation peu enviable… En février dernier, le gouvernement chinois a annoncé que, à l’avenir, ses chercheurs seraient plutôt évalués en fonction de la qualité de leurs articles. Une décision qu’on pourrait applaudir si ce n’était du fait que, comme le signalait Yangyang Cheng, la Chine tend à respecter les principes universels seulement lorsque son appartenance à la communauté politique ou scientifique mondiale en dépend − c’est-à-dire lorsqu’elle n’a pas d’autre choix.
La science ne peut s’épanouir que dans un environnement qui favorise la transparence, l’ouverture, la liberté d’expression, l’intégrité et la rigueur. Tant que la Chine refusera d’adhérer à ces valeurs, elle sabotera ses chances de devenir une véritable puissance scientifique.
Alors que je fouillais dans les images captées par le télescope Hubble, je suis tombée sur cette prise de vue des galaxies des Antennes en fusion. Situées dans la constellation du Corbeau, à quelque 45 millions d’années-lumière de la Terre, elles sont particulièrement appréciées des astronomes amateurs en raison de leur beauté. Mais ce qui m’a aussi frappée, c’est le titre de l’image : « Des galaxies en collision font l’amour, pas la guerre. » Ces galaxies se sont autrefois entrechoquées, mais de leur rencontre sont nées des milliards d’étoiles. En ces temps sombres, cette douce poésie m’a interpellée. − Natacha Vincent, directrice artistique