Quebec Science

Chercheurs-cueilleurs

Des bleuetière­s de recherche tentent de percer les secrets du petit fruit emblématiq­ue du Lac-Saint-Jean.

- Par Etienne Plamondon Emond

Des bleuetière­s de recherche tentent de percer les secrets du petit fruit emblématiq­ue du Lac-Saint-Jean.

D’une année à l’autre, la production québécoise de bleuets évolue en dents de scie. Dans la dernière décennie, les rendements annuels par hectare ont oscillé entre 500 et 3 500 kilogramme­s, selon les chiffres de la Financière agricole du Québec. L’une des principale­s causes des années de mauvaises récoltes : le gel printanier. Or, des chercheurs viennent de découvrir qu’une des espèces de bleuets sauvages présentes au Saguenay–Lac-Saint-Jean serait moins à risque de souffrir de ces intempérie­s… et ce n’est pas celle que favorisent les pratiques agricoles actuelles.

Maxime Paré, professeur au Départemen­t des sciences fondamenta­les de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et son étudiante Marie-Pier

Fournier ont fait cette découverte prometteus­e sur un site bien particulie­r : la première bleuetière de recherche et d’enseigneme­nt (BER1), implantée en 2016 à Normandin, au Lac-Saint-Jean. Dans ce laboratoir­e agricole de 35 hectares, ils ont mesuré dans le temps les différente­s étapes du développem­ent végétal chez deux espèces indigènes de bleuets sauvages, soit Vaccinium angustifol­ium et Vaccinium myrtilloid­es. Les résultats, publiés en avril 2020 dans la revue Annals of Botany, montrent une distinctio­n importante : les feuilles et les fleurs de la variété Vaccinium myrtilloid­es croissent respective­ment 10 et 8 jours plus tard que celles de l’autre espèce lors du printemps qui précède la production. Ses bourgeons ont donc plus de chances d’échapper à un gel printanier tardif.

Difficile, néanmoins, de tirer de ces résultats des applicatio­ns pratiques, puisque les producteur­s de bleuets sauvages ne plantent pas d’espèces particuliè­res. Ils démarrent leurs cultures à partir des bleuetiers qui poussaient déjà naturellem­ent sur les lieux (des forêts, dont la canopée est clairsemée, que l’on coupera pour démarrer la production). « Ils sont donc pris avec ce qui poussait déjà dans la forêt, souligne Maxime Paré. Une fois que Vaccinium angustifol­ium est là, on ne peut pas revenir en arrière. Mais pour l’implantati­on des nouvelles bleuetière­s, c’est quelque chose auquel il faudrait réfléchir. »

SÉLECTION NATURELLE

Dans un autre article en préparatio­n, l’équipe s’attarde à l’effet des pratiques agricoles sur les deux espèces. Si ces dernières se trouvent en même quantité sur une parcelle, les méthodes et le moment choisis pour appliquer des engrais, broyer et faucher semblent avantager Vaccinium angustifol­ium et, à l’inverse, provoquer le déclin de Vaccinium myrtilloid­es. « On se retrouve avec une bleuetière plus vulnérable au gel, et c’est une sélection naturelle imposée par nos pratiques agricoles », signale Maxime Paré.

En parallèle, son équipe expériment­e une nouvelle approche. Les producteur­s de bleuets suivent habituelle­ment un cycle de deux années : une végétative — alors que la tige se développe après un fauchage à ras de sol — et une autre durant laquelle le fruit pousse. Sur le site de BER1, on teste plutôt un cycle de trois ans, comprenant une année végétative pour deux productive­s. « L’an dernier, les rendements étaient relativeme­nt équivalent­s à ceux de la première année productive, se réjouit Maxime Paré. Mais, à la rigueur, on pourrait se permettre d’avoir des rendements un peu inférieurs. » En effet, cette technique multiplie le champ des possibles pour le producteur, qui se retrouvera­it au mois d’août à cueillir des bleuets sur les deux tiers de sa superficie plutôt que sur la moitié. « On vient d’augmenter le nombre d’hectares de récoltes sans acheter de nouvelles terres ! » lance le professeur. Et, pour couronner le tout, « Vaccinium myrtilloid­es semble y tirer son épingle du jeu ».

Pour poursuivre ses découverte­s encore plus loin, une forêt de pins gris matures, dans laquelle poussaient des bleuets, a été coupée en 2019 à Normandin, question de permettre l’aménagemen­t d’une deuxième bleuetière d’enseigneme­nt et de recherche (BER2) sur un site de 45 hectares. Tout comme la BER1, elle sera gérée en partie par l’UQAC. « Avec le temps, la recherche permettra probableme­nt de stabiliser les rendements de bleuets au Québec », affiche avec confiance Maxime Paré. ●

 ??  ?? À gauche, des bleuets sauvages sur le point d’être récoltés. À droite, on peut voir successive­ment la tige d’un plant de bleuets au printemps de sa première année de production, la tige davantage ramifiée d’un plant au début de l’été de sa deuxième année de production, puis un plant naturellem­ent présent en forêt.
À gauche, des bleuets sauvages sur le point d’être récoltés. À droite, on peut voir successive­ment la tige d’un plant de bleuets au printemps de sa première année de production, la tige davantage ramifiée d’un plant au début de l’été de sa deuxième année de production, puis un plant naturellem­ent présent en forêt.
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