Le début d’un champ nouveau
Soucieux de réduire la quantité de pesticides qu’ils utilisent et la pollution générée par l’agriculture, des producteurs et des chercheurs travaillent à réinventer les pratiques.
Soucieux de réduire la quantité de pesticides utilisés, des producteurs et des chercheurs travaillent à réinventer les pratiques.
Depuis trois ans, Mike Verdonck prête une partie de son champ à la science afin de trouver une solution à un problème qui le taraude : son recours aux pesticides, qu’il souhaite réduire. Et pas n’importe lequel : le glyphosate, l’ingrédient actif du Roundup, qui fait couler beaucoup d’encre. L’objectif de l’agriculteur est d’en diminuer grandement la quantité, mais pas d’en cesser l’usage. Pourquoi ? En l’absence de cet herbicide, Mike Verdonck devrait labourer son sol pour se débarrasser des mauvaises herbes, une option à laquelle il s’oppose. « J’ai toujours été très préoccupé par la conservation du sol, et ce travail intensif le dégrade », souligne le producteur de Saint-Marthe, en Montérégie.
Pour parvenir à ce difficile équilibre, il fait équipe avec Louis Pérusse, agronome du réseau SCV Agrologie, et Marc
Lucotte, professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ensemble, ils expérimentent le semis direct sur couverture végétale (SCV). La démarche consiste à semer sans labourer du maïs ou du soya dans une plante de couverture, comme de la luzerne, qui empêche la germination de mauvaises herbes. « Par contre, personne n’avait encore regardé si les plantes de couverture pouvaient permettre de réduire les doses de pesticides », signale Marc Lucotte.
Mike Verdonck consacre 2 de ses 840 hectares à l’étude. Cette superficie est divisée en neuf sections, où sont testées différentes rotations de cultures avec ou sans plantes de couverture.
« Ce n’est pas facile », reconnaît Mike Verdonck. Bien que les plantes de couverture n’aient pas gêné le blé ou le soya, la luzerne a, de son côté, livré une rude compétition au maïs pour ce qui est des ressources en eau au cours des deux derniers étés arides. Les résultats ne sont pas décourageants pour autant. « On est capables d’avoir des rendements équivalents avec la dose minimale de glyphosate », indique Marc Lucotte. C’est loin d’être anodin. Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec estime, à partir de la quantité de glyphosate vendue en 2016, que l’herbicide est arrosé sur 1 750 000 hectares dans la province. Or, il est surtout épandu dans les champs de maïs et de soya… qui n’occupent que 745 000 hectares. Cela signifie que le produit est utilisé plus souvent, ou alors à une dose plus élevée, que suggéré.
Grâce à la méthode du SCV, Mike Verdonck procède à un seul épandage de glyphosate, alors qu’il faut habituellement effectuer deux ou trois passages pour arriver au même résultat. En revanche, les mauvaises herbes gagnent le combat lorsque sont appliqués deux fois moins d’herbicides que la dose minimale recommandée par le fabricant. Néanmoins, Marc Lucotte ne perd pas espoir. « Les plantes de couverture améliorent immensément les fonctions des sols, que ce soit la rétention d’eau, la biodisponibilité du phosphore ou la présence de vers de terre, observe-t-il. Dans quelques années, cela permettra de diminuer encore plus l’usage des pesticides. »
LES ENNEMIS DE NOS ENNEMIS
Si certaines personnes sèment des plantes pour réduire l’utilisation d’herbicides, d’autres remplacent les insecticides par des insectes ! Les Fermes Longprés, situées dans la municipalité de Les Cèdres,
en Montérégie, n’utilisent pas de pesticides depuis longtemps. « Mais, certaines années, on avait énormément de pucerons de soya, et cela baissait nos rendements », raconte Thomas Dewavrin, ancien président de l’entreprise.
Au milieu de la décennie 2000, il a remarqué que ces ravageurs créaient moins de dommages en bordure des champs, là où sévit une de leurs ennemies naturelles : la coccinelle. « Je ne suis pas du tout entomologiste », soulève l’agriculteur, qui a donc fait appel au Laboratoire de lutte biologique de l’UQAM.
Le professeur Éric Lucas et Geneviève Labrie, son étudiante, ont aménagé en 2006 une portion de leurs terres en alternant des rangées de soya, de blé, de maïs et de vesce, certaines de 18 mètres de largeur et d’autres, de 36 mètres. Le but d’une telle disposition : tenter d’attirer la migration d’insectes, dont des coccinelles.
Les résultats, publiés en 2016 dans la revue Agriculture, Ecosystems & Environment, montrent que la méthode se révèle un succès : la quantité de pucerons de soya dans l’aménagement expérimental était de 33 à 55 % moindre que celle relevée dans les parcelles témoins de 180 mètres de largeur au cours des années de forte infestation. « On peut avoir assez d’insectes pour contrôler les ravageurs », conclut Thomas Dewavrin.
Tout, ou presque, reste encore à être découvert au sujet de ces insectes « combattants ». Or, Éric Lucas s’inquiète que plusieurs d’entre eux soient éliminés par les pesticides visant leurs proies, ce qui rend les plantes plus vulnérables aux ravageurs. Son laboratoire se presse donc d’identifier ces alliés négligés.
Récemment, il a démontré qu’une mouche précise pourrait changer la donne dans les serres : le syrphe d’Amérique. Celui-ci s’attaque au puceron de la digitale, qui dévaste entre autres les cultures d’aubergines, de laitues, de poivrons et de tomates. « C’est un organisme fantastique, car il se reproduit à basse température », soulève Éric Lucas. Les résultats de ses travaux, publiés dans le Journal of Insect Science en 2019, témoignent que cette espèce se multiplie à partir de 12 Le syrphe d’Amérique pourrait donc se révéler efficace même avec le froid rencontré dans les serres en hiver ! Une entreprise analyse actuellement le coût de production de cet insecte, car s’il est trop élevé, les agriculteurs hésiteront à adopter la petite mouche, reconnaît Éric Lucas.
LABORATOIRES VIVANTS
L’argent n’est pas le seul frein à l’adhésion à des pratiques agricoles plus écologiques. « Les chercheurs ont une idée, la diffusent puis espèrent qu’elle va générer des changements, observe Julie
professeure au Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Cela a très bien fonctionné tant qu’il était question d’améliorer la productivité des agriculteurs et de simplifier leur travail, mais dès qu’on s’attaque à des enjeux environnementaux, ça ne marche plus. »
En 2015, des agronomes et biologistes de l’entreprise PleineTerre ont communiqué avec la sociologue. Leur souci : des agriculteurs ne s’approprient pas les projets qu’ils coordonnent pour améliorer la qualité de l’eau à l’échelle d’un bassin versant en Montérégie. Pour le projet visant particulièrement la rivière L’Acadie, Julie Ruiz a suggéré l’approche des laboratoires vivants ( living labs en anglais), qui implique dès le départ les acteurs concernés dans la création des solutions. Dans des ateliers, les animateurs ne présentent pas d’emblée des constats environnementaux, mais écoutent les producteurs, tout en centrant les échanges autour des pratiques agricoles. « Ils font alors partie de la solution plutôt que du problème », indique la professeure.
« Si la première réunion avait été une séance de critiques acerbes envers les producteurs, il n’y aurait pas eu grand monde à la suivante », reconnaît Hugo Landry, un agriculteur parmi la soixantaine qui prennent part à l’heure actuelle au projet baptisé AcadieLab. Les discussions ont
mené l’ensemble des acteurs à adopter un objectif concret et facile à observer : la réduction des matières en suspension dans la rivière L’Acadie. Ainsi, ils s’attaqueront autant à la pollution du phosphore qu’aux pesticides et à l’érosion du sol.
Bientôt, les producteurs pourront télécharger une application, créée en collaboration avec l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. À partir de données sur le sol et les cultures, l’appli calculera les effets de différentes méthodes visant à limiter l’érosion et le lessivage, ce qui se produit lorsque l’eau de pluie ou le vent transportent des portions de sol et des sédiments jusqu’au cours d’eau. Elle estimera la quantité de sols qui, ainsi, ne se retrouveront pas dans la rivière grâce à l’adoption de pratiques comme la réduction du labourage, l’aménagement d’une bande riveraine ou le recours à des plantes de couverture. Toutefois, à la demande d’agriculteurs, ce nombre ne s’affichera pas en kilogrammes, mais plutôt en bennes de camion remplies de terre, question de parler leur langage. « Ce modèle fait par la science deviendra facile à utiliser, souligne Julie Ruiz. Ça n’a l’air de rien, mais c’est majeur. Il n’y a rien de pire qu’un outil avec un énorme potentiel dont les gens ne peuvent pas se servir. »