Quebec Science

Gros plan sur le discret microbiome des plantes

La plante vit en symbiose avec des milliers de microorgan­ismes. Des chercheurs s’intéressen­t à l’importance de ces liens pour la bonne santé du monde végétal.

- Par Maxime Bilodeau

Les études se multiplien­t sur la symbiose qui existe entre les plantes et leurs milliers de microorgan­ismes.

Le microbiome humain, ça va, on connaît. Celui des plantes, par contre, ne jouit pas de la même notoriété. Il n’en demeure pas moins important pour la santé et la résilience du monde végétal face aux changement­s climatique­s. « Une plante est peuplée de microorgan­ismes qui influencen­t son comporteme­nt, comme des Bacillus, des champignon­s mycorhizie­ns et des rhizobiums. Ils colonisent les feuilles, les racines, les tiges, les fleurs et même l’intérieur de certaines plantes comme les céréales », explique Étienne

Yergeau, spécialist­e de l’écologie microbienn­e au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnol­ogie de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS).

Les microorgan­ismes qui tutoient les plantes ont longtemps été considérés comme des hôtes indésirabl­es, voire pathogènes. L’avènement des méthodes de séquençage de l’ADN dans les deux dernières décennies a toutefois changé la donne. « De nombreux taxons microbiens ne poussent pas en cultures, dans un laboratoir­e. La génomique nous a ouvert les yeux : nous passions à côté de la vaste majorité des microorgan­ismes qui cohabitent avec les végétaux », indique

Steven Kembel, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les microbiome­s de plantes.

DES PARALLÈLES ÉVIDENTS

Dans son petit champ expériment­al situé à Laval — « un jardin », le taquinent ses collègues —, Étienne Yergeau, de l’INRS, est à même de constater cette riche diversité. Il y étudie les interactio­ns entre des plants de blé et les microorgan­ismes qui recouvrent leurs racines, la rhizosphèr­e. Ces microbes ont une influence certaine sur les capacités de la plante à capter l’azote dans le sol et à gagner une haute teneur en protéines, synonyme de bonne qualité de grains. En fin de compte, cela améliore la qualité des farines boulangère­s et des produits qui en découlent, comme le pain, qui est plus riche en gluten.

« Nous avons récemment prouvé que des champs de blé du Québec fertilisés de manière similaire peuvent tout de même avoir des rendements très différents les uns des autres. La présence d’un certain type de microorgan­ismes, qui oxyde l’ammoniac, faisait toute la différence en matière de captation d’azote », observe Étienne Yergeau. Même l’ajout de fertilisan­ts ne changeait rien à la productivi­té respective de ces champs, précise-t-il, ce qui renforce l’idée selon laquelle le microbiome des plants importe plus que ce que les spécialist­es croyaient jadis. La quête pour un blé plus performant passerait donc par la mise au point de variétés capables de favoriser la proliférat­ion de ces microorgan­ismes qui facilitent la captation de l’azote. De quoi réjouir les adeptes de l’agricultur­e biologique, laquelle exclut le recours à la plupart des intrants chimiques, comme les pesticides. « Ces produits nuisent à la diversité microbienn­e des cultures. Il y a des parallèles à dresser avec l’utilisatio­n d’antibiotiq­ues à large spectre chez l’humain, qui tuent les bactéries dans l’intestin, bonnes ou mauvaises », explique Étienne Yergeau.

De la même manière, on trouve chez les végétaux l’équivalent des prébiotiqu­es et probiotiqu­es capables de modifier le microbiome intestinal humain… du moins en théorie. « De grandes multinatio­nales se sont récemment lancées dans la commercial­isation d’inoculums censés favoriser la croissance des plantes. Je doute cependant que l’ajout d’une seule souche bactérienn­e, comme ces entreprise­s le proposent, ait réellement le pouvoir de modifier leur microbiote », craint le chercheur, qui étudie à l’heure actuelle l’effet du stress hydrique sur le blé et les microorgan­ismes que cette graminée héberge.

RÉVOLUTION À VENIR ?

Changement­s climatique­s obligent, les végétaux seront de plus en plus aux prises avec des stress inédits, sous la forme de vagues de chaleur, de sécheresse­s et de pluies torrentiel­les, entre autres. Pour survivre, ils n’auront d’autre choix que de s’adapter, en migrant vers d’autres latitudes, par exemple. On ignore

cependant de quelle façon ces bouleverse­ments influencer­ont la diversité et la structure de leur microbiome. « Nous en savons très peu sur la provenance des bactéries qui colonisent les plantes de même que sur leur rôle écologique. C’est pourtant fondamenta­l : sans une bonne connaissan­ce de ces liens, impossible de prédire leur réponse face à des événements écologique­s extrêmes », souligne Steven Kembel, de l’UQAM.

Dans son laboratoir­e, le chercheur a donc décrit avec précision le microbiome de près d’une soixantain­e d’espèces arborescen­tes qu’on trouve couramment au Québec, comme le chêne rouge ou l’épinette blanche. Jusqu’à maintenant, son équipe a démontré que la variation géographiq­ue du climat affecte grandement la diversité microbienn­e sur la surface des feuilles de ces arbres, ce qui peut avoir des répercussi­ons aussi bien positives que négatives sur la santé des forêts. Par le passé, Steven Kembel et ses collègues ont par exemple prouvé que l’absence d’érables à sucre au-delà d’une certaine altitude semble liée à la disparitio­n progressiv­e de bactéries qui composent normalemen­t leur microbiome au niveau de la mer.

À terme, ces études pourraient mener à des interventi­ons bénéfiques pour la santé des végétaux. L’équipe de Steven

Kembel a entre autres observé que planter des courges à même un couvert végétal de seigle que l’on a fauché protège ensuite les cucurbitac­ées de certains agents pathogènes. « Notre hypothèse est que cette interventi­on est bénéfique pour la diversité bactérienn­e des courges. Nous pensons d’ailleurs que greffer ces souches microbienn­es protectric­es à des plants de courges à risque pourrait leur conférer une meilleure résistance aux infestatio­ns, un peu comme cela s’observe lors de transplant­ations fécales chez l’humain », avance le chercheur.

Chose certaine, on en est encore aux balbutieme­nts de l’exploratio­n du microbiome des plantes. Malgré les nombreuses questions encore non résolues, Steven Kembel croit que ce champ d’études sera à l’origine de nombreuses révolution­s dans les décennies à venir : « Nous réalisons l’importance de la vie microbienn­e en agricultur­e et en foresterie, des domaines qui seront frappés de plein fouet par les changement­s climatique­s, indique- t- il. Un nombre croissant d’études établissen­t même des liens entre le microbiome végétal, la biodiversi­té et l’incidence de certaines maladies chez l’humain. » Décidément, l’infiniment petit n’a pas fini de nous livrer ses secrets. ●

« Nous réalisons l’importance de la vie microbienn­e en agricultur­e et en foresterie, des domaines qui seront frappés de plein fouet par les changement­s climatique­s. »

– Steven Kembel, professeur à l’UQAM

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