BEAUTÉ MINÉRALE
Sous le microscope polarisant, les roches prennent des airs de collages ultraléchés. Un géologue italien s’amuse à les faire découvrir au public.
Pour regarder une roche dans le blanc des yeux, il faut beaucoup de travail. À l’aide d’une scie circulaire, on commence par la tailler pour obtenir une petite plaque d’environ 3 cm sur 5 cm. On en polit un côté, qu’on colle sur une lamelle de verre. Puis, on ponce longuement l’autre côté pour parvenir à une épaisseur de 0,03 mm, ce qui rend transparents la plupart des minéraux. Il suffit ensuite de poser cette « lame mince » sous l’oculaire d’un microscope optique et de jouer avec différents filtres et accessoires. Le résultat ébahit encore le géologue italien Bernardo Cesare, plus de 30 ans après sa première expérience, réalisée pendant ses études universitaires. Si bien qu’il en fait des photos, que le public peut admirer dans des concours, des expositions et sur ses comptes Twitter et Facebook MicROCKScopica. « L’artiste, c’est la nature ; je ne suis qu’un photographe ! » dit-il, modeste. Au-delà de son intérêt esthétique, l’analyse des lames minces est une technique de base en géologie pour identifier les différents minéraux présents dans une roche. « Chaque minéral a des propriétés optiques particulières, explique le professeur du Département de géosciences de l’Université de Padoue, en Italie. On regarde donc les couleurs et les textures. On observe aussi comment les différents minéraux sont agencés, ce qui nous donne une idée de celui qui s’est formé en premier. » Bien évidemment, les minéraux n’ont pas véritablement de couleurs aussi vives que celles qui égaient ce reportage. Pourtant, ces images sont parfaitement fidèles à ce qu’on peut voir au microscope. La clé se trouve entre la source de lumière et l’oeil dans l’oculaire : les polariseurs (qui filtrent la lumière selon sa direction) et le compensateur (une autre lame mince d’un minéral choisi pour ses propriétés). « Ce ne sont pas des filtres colorés », prévient le chercheur. En gros, chacun de ces éléments fait diverger la direction de la lumière, ce que les cristaux de l’échantillon font aussi en raison de leur géométrie, tel un prisme. Les couleurs sont donc la somme de ces influences. Ainsi, on peut facilement distinguer des cristaux de biotite dans la roche : un
changement de couleur s’opère quand on fait faire une rotation à l’échantillon sous un seul filtre polarisant. Puis, quand on croise deux filtres, ce minéral devient pratiquement opaque, donc noir, lorsque les fissures qui le traversent se trouvent placées à l’horizontale ou à la verticale. Un compensateur n’est pas nécessaire pour reconnaître la biotite, mais dans le cas de l’apatite et du feldspath, il facilite la tâche d’identification.
L’IMPORTANCE DU REGARD
Ces techniques sont centenaires. D’autres outils de pointe sont également utilisés, comme la microscopie électronique à balayage ou les techniques basées sur le rayonnement synchrotron. À titre d’éditeur adjoint au JournalofMetamorphicGeology, le professeur Cesare est à même de constater que « c’est devenu tentant de sauter l’étape de la microscopie optique, de passer directement aux outils plus sophistiqués. Mais on se trouve alors à bâtir nos réflexions sur des analyses fines sans avoir une bonne idée de la façon dont est faite notre roche. Sans cette vision plus large, on peut manquer des choses importantes. » C’est justement en observant des grenats au microscope polarisant qu’il a découvert que ceux-ci n’ont pas tous une structure cristalline cubique. Pourtant, ils étaient jusqu’alors considérés comme le minéral cubique par excellence ! « Sous l’effet de deux polariseurs, un minéral cubique apparaît toujours noir. Mais j’ai réalisé que certains grenats ne sont pas complètement noirs. On a poursuivi la recherche et réalisé que plusieurs grenats sont tétragonaux », ce qui a fait l’objet d’une publication en 2019 dans la revue savante ScientificReports. Il tente maintenant de comprendre pourquoi la cristallisation de ce minéral peut prendre une forme différente. Ses photographies décorent non seulement son salon, mais aussi des départements de géologie et des maisons privées partout dans le monde : le professeur commercialise ses oeuvres… celles de la nature, devrait-on dire !