Quebec Science

Les trésors funéraires de l’Égypte antique

Ces derniers mois, les découverte­s se multiplien­t en Égypte, révélant la complexité de l’industrie funéraire de la Basse Époque.

- Par Renaud Manuguerra-Gagné

Pour la première fois en 2 500 ans, la lumière du jour s’infiltre à l’intérieur d’un sarcophage égyptien autour duquel s’affaire une équipe de chercheurs. À l’aide de rayons X, ces derniers déterminen­t que la momie qui s’y trouve serait celle d’un homme d’environ 40 ans.

Or, ce n’est pas dans l’ambiance austère d’un laboratoir­e que ces premières analyses sont réalisées, mais plutôt au milieu des caméras de journalist­es du monde entier ! Cette momie n’est qu’un spécimen parmi la centaine présentée au cours d’une conférence de presse spectacula­ire organisée par le ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités en novembre 2020.

Les sarcophage­s en bois en parfaite condition et ornés de hiéroglyph­es aux couleurs encore visibles remontent pour la plupart à la Basse Époque, une période de l’histoire d’Égypte s’étendant de 700 à 300 ans avant notre ère.

Cette rencontre avec les médias est la troisième en trois mois et elle sera suivie d’une autre qui s’est tenue le 16 janvier dernier. En tout, les archéologu­es ont exhumé environ 200 sarcophage­s de puits funéraires, des statues de divinités, des masques, des fragments d’un papyrus du Livre des morts, des poteries, etc. Ils ont aussi entièremen­t révélé le temple funéraire de la reine Naert, épouse du roi Téti, premier pharaon de la VIe dynastie de l’Ancien Empire.

Tous ces artéfacts proviennen­t de la nécropole de Saqqarah, située à une trentaine de kilomètres au sud du Caire. Ce plateau d’une dizaine de kilomètres carrés a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco il y a plus de 50 ans. « Saqqarah était la nécropole de la ville de Memphis, qui a longtemps été la capitale de l’Égypte, indique Jean Revez, égyptologu­e et professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est un des lieux les plus visités du pays. » Et ce site n’a pas fini de livrer ses secrets, car on estime que 70 % des artéfacts sont toujours enterrés.

Pour l’instant, difficile d’en savoir davantage sur la nature des objets et sur leur contributi­on à l’égyptologi­e. « On annonce ces découverte­s dans de grandes conférence­s de presse, mais on n’a pas encore accès aux informatio­ns scientifiq­ues, dit Valérie Angenot, égyptologu­e et historienn­e de l’art à l’UQAM. La première chose à faire est de s’assurer de la préservati­on des momies. La recherche viendra après. »

Comment expliquer autant de découverte­s en quelques mois à peine ? La réponse vient en partie des pratiques funéraires de l’époque à laquelle ces momies ont été enterrées. Quand on pense aux tombeaux égyptiens, on imagine des pyramides ou des salles souterrain­es dotées de chapelles richement décorées. Or, à la Basse Époque, les Égyptiens avaient presque abandonné ces façons de faire. Ils multipliai­ent plutôt les puits funéraires, des caveaux peu décorés, creusés à des dizaines de mètres sous terre, dans lesquels on entreposai­t plusieurs momies. Des sortes de fosses communes améliorées, en somme.

« À la Basse Époque, les pharaons ou leurs proches bâtissaien­t toujours de grandes tombes individuel­les ou familiales, mentionne Valérie Angenot, mais pour la noblesse et d’autres particulie­rs, l’accent est mis sur la protection directe du corps par des sarcophage­s magnifique­ment ornés, plutôt que sur le luxe des tombes. Ils avaient déjà le recul historique pour savoir que les grands tombeaux étaient une invitation pour les pilleurs. Les textes essentiels aux rites funéraires sont donc passés des murs des tombes à la surface des sarcophage­s. »

Cette pratique d’embaumemen­t collectif permet aussi à des gens moins aisés d’aspirer à une vie après la mort. « Ce qu’on découvre

dans ces puits nous permet de connaître le sort d’un plus grand nombre d’Égyptiens, mais aussi le statut des personnes inhumées et les privilèges auxquels elles pouvaient accéder », signale Jean Revez.

Selon les moyens du défunt, on voit des variations dans la manière d’emmaillote­r, les huiles d’embaumemen­t employées ou le raffinemen­t des vases canopes, ces jarres servant à entreposer les viscères des corps momifiés. « En étudiant ce savoir-faire, les chercheurs pourront voir une gradation dans l’industrie de la momificati­on, des offres les plus luxueuses jusqu’aux plus banales », poursuit Jean Revez. Le chercheur ne sait pas à quoi s’attendre par rapport au caractère original des découverte­s. « Par leur nombre important, c’est certain que ces artéfacts vont nous apporter des informatio­ns, mais il est probable qu’elles ne servent qu’à confirmer des connaissan­ces qu’on a acquises à l’occasion de fouilles précédente­s. »

Ces découverte­s surviennen­t aussi à une période difficile pour l’Égypte, qui a vu le tourisme diminuer après le printemps arabe, puis avec la pandémie de COVID-19. « Pour le moment, les Égyptiens ont besoin de multiplier ces découverte­s pour montrer la richesse de leur patrimoine, ajoute Valérie Angenot. Mais les Égyptiens ont aussi un réel intérêt pour leur passé, non pas comme source de revenus, mais pour l’importance de la science. Les plus belles momies iront rejoindre les collection­s de musées, comme celle du futur Grand Musée égyptien, dont l’ouverture a été reportée à 2021. Mais on ne sait jamais à quoi va mener une découverte archéologi­que. Le moindre objet peut servir de point de départ à de nouvelles théories. »

Qu’elles soient destinées aux musées ou aux laboratoir­es, il y a fort à parier qu’une telle attention scientifiq­ue et médiatique n’était pas incluse dans les arrangemen­ts funéraires des momies concernées.

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Explorée minutieuse­ment par les archéologu­es, la nécropole de Saqqarah abrite notamment la pyramide à degrés de Djoser, créée par le célèbre architecte Imhotep.

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