Des bulles pour expliquer la matière noire
Une théorie tournée vers la naissance de l’Univers relance les paris sur la nature de la matière noire.
Le constat est sans appel : la matière noire, qui constitue 85 % de la matière de l’Univers, échappe toujours aux physiciens. Une équipe de jeunes cosmologistes propose un nouveau scénario pour percer ce mystère. Le rôle central y est tenu par des trous noirs hypothétiques dits « primordiaux », car ils seraient apparus durant la première seconde de l’Univers. « Ce sont de très bons candidats au titre de matière noire », soutient Edoardo Vitagliano, physicien à l’Université de Californie à Los Angeles, l’un des auteurs de l’article paru fin 2020 dans la revue Physical Review Letters.
Ne vous y trompez pas : on a beau les qualifier de « noirs », les trous noirs classiques, comme ceux qui résultent de l’effondrement d’une étoile, n’ont à priori pas de rapport avec la matière manquante. Ils sont trop peu nombreux pour « peser » assez lourd. À moins qu’une myriade de trous noirs primordiaux inconnus constellent l’Univers ?
L’idée que ces astres, dont l’existence reste à prouver, pourraient être la source de la matière noire date des années 1990. Mais elle se butait à certaines contraintes théoriques sur l’abondance et la taille possible de ces trous noirs. Les calculs montraient qu’ils ne pouvaient constituer qu’une infime fraction de la masse manquante. En revisitant l’histoire de leur formation, l’équipe internationale, sous la houlette de l’Institut Kavli pour la physique et les mathématiques de l’Univers, situé au Japon, s’est débarrassée de ces contraintes. La clé tient à leur concept de « bulles de faux vide ». « Pendant la période d’expansion très rapide de l’Univers, appelée inflation, certaines régions de l’espace s’apparentant à des “bulles” se seraient effondrées sur elles-mêmes − un peu comme des étoiles très denses − pour créer des trous noirs », explique Edoardo Vitagliano. L’Univers primordial, une soupe chaude et informe, était alors si compact qu’une fluctuation de densité de 50 % aurait suffi à former un trou noir, selon les auteurs.
Ils en concluent que ces astres pourraient même représenter l’intégralité de la matière noire dans l’Univers actuel. Tout dépend de leur masse, un « détail » qui reste à élucider. « Celle-ci pourrait varier de 1011 kg jusqu’à des dizaines de milliers de masses solaires − cela dépend des modèles » , commente Marie- Lou Gendron- Marsolais, une Québécoise spécialiste des trous noirs en poste au télescope ALMA, au Chili, et qui n’a pas participé à ces travaux.
Pour régler une fois pour toutes le mystère de la matière noire, il faudrait que la masse de ces objets originels soit proche de celle d’un astéroïde, avance l’équipe de l’Institut Kavli. « C’est très excitant et la communauté scientifique travaille dur pour explorer cette possibilité », s’enthousiasme un autre auteur de l’article, Volodymyr Takhistov.
L’équipe est fébrile : elle collabore avec des collègues japonais qui ont détecté grâce au télescope Subaru d’Hawaii, en 2019, un « candidat » compatible avec leurs prédictions. « Ils ont observé l’augmentation de la luminosité des étoiles due à la courbure de la lumière passant proche de trous noirs primordiaux, poursuit le chercheur. Nous attendons avec impatience les nouvelles données, qui seront un bon test pour notre proposition. »
Leur scénario est d’autant plus séduisant qu’il ouvre la porte à l’existence d’univers multiples. « Les trous noirs primordiaux formés par les bulles peuvent avoir différentes tailles. Les plus massifs sont spéciaux : selon les principes de la relativité générale, un observateur imaginaire à l’intérieur de ces trous noirs verrait un univers en expansion, séparé du nôtre − un bébé univers. Alors que nous, en tant qu’observateurs externes, ne verrions qu’un trou noir », signale Edoardo Vitagliano. Vertigineux.