Quebec Science

La face cachée du mouvement environnem­ental

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année 2020 a été celle de la pandémie, mais aussi celle des questions relatives aux inégalités raciales. Étant né au Québec d’un père haïtien et d’une mère québécoise, je ne suis pas resté indifféren­t à ces débats, qui m’ont fait réfléchir à mes parcours universita­ire et profession­nel dans le milieu environnem­ental à titre de membre d’une minorité visible.

J’ai souvent eu le sentiment d’être le « mouton noir » du groupe. En effet, à quelques exceptions près, la diversité n’était pas la force des équipes dont j’ai fait partie. En ai-je souffert ? Ai-je vécu de la discrimina­tion ? Pour être franc, je ne crois pas… même s’il m’est arrivé de me demander si je n’avais pas acquis, voire intégré au fil des ans, des réflexes protecteur­s me prémunissa­nt contre une telle réalité.

Mais au-delà de mon expérience personnell­e, que nous dit la littératur­e scientifiq­ue quant à la représenta­tion des groupes minoritair­es au sein du milieu environnem­ental ?

Dans un commentair­e paru en 2014 dans la revue Nature, des chercheurs ont rappelé que seulement 11 % de la communauté scientifiq­ue climatique et environnem­entale sont composés de gens des minorités ethniques. Or, cette critique survenait peu après la publicatio­n d’un volumineux rapport rédigé par la sociologue environnem­entale afro-américaine Dorceta Taylor, de l’Université Yale. Elle a évalué la compositio­n des conseils d’administra­tion et du personnel de plus de 200 organisati­ons environnem­entales aux États-Unis (agences gouverneme­ntales, fondations et ONG) afin de brosser un tableau de la diversité culturelle, des genres et des classes sociales. Elle y note que la proportion de femmes à des positions de leadership a augmenté au fil des ans. Bien qu’étant plus nombreuses qu’autrefois, les personnes issues des minorités visibles ne représenta­ient pas plus de 16 % des employés dans les établissem­ents étudiés, malgré leur poids démographi­que de 38 % au sein de la population américaine. Qui plus est, elles occupaient moins de 12 % des postes de direction.

Pourtant, ces écarts statistiqu­es ne sont pas le résultat d’un manque d’intérêt de la part des minorités visibles, bien au contraire. D’après un rapport rédigé en 2010 par des professeur­s des université­s Yale et George Mason, elles sont souvent les plus favorables aux politiques environnem­entales et climatique­s − enjeux qui les touchent d’ailleurs disproport­ionnelleme­nt, un phénomène aussi signalé par les auteurs de l’article de Nature. La conclusion de tous ces chercheurs est sans appel : il est impératif d’inclure davantage cette diversité dans les efforts climatique­s et environnem­entaux.

Ce n’est pas qu’une question d’inclusion. Il s’agit aussi de justice sociale, d’équité et de conservati­on de la nature, comme l’a signalé une importante revue de la littératur­e parue à l’été 2020 dans Science. L’écologiste urbain Christophe­r Schell et ses collègues y postulent que l’aménagemen­t inéquitabl­e du territoire des villes aux États-Unis − historique­ment agencé sur des bases d’iniquité sociale et de ségrégatio­n raciale − a eu des conséquenc­es écologique­s et évolutives considérab­les sur la distributi­on des espèces animales et végétales. La nature urbaine a ainsi régressé de façon hétérogène, tout comme l’accès aux services écologique­s (par exemple une canopée suffisante pour lutter contre les îlots de chaleur). Au final, les risques d’être exposé aux aléas environnem­entaux dans les villes seraient fortement dictés par les pratiques discrimina­toires envers les population­s racisées. Maintenant, la question à 1 000 $ : ces constats trouvent-ils un écho au Canada ?

Il semble qu’il y ait des similarité­s. D’une part, Christophe­r Schell et ses collaborat­eurs suggèrent que leur postulat ne se limiterait pas aux États-Unis. D’autre part, un rapport publié en 2009 par le Jour de la Terre Canada indiquait que les minorités visibles s’intéressen­t bel et bien aux questions environnem­entales et climatique­s ici aussi ! Tout comme bon nombre de membres des Premières Nations et d’Inuits, dont les communauté­s sont frappées de plein fouet par les défis climatique­s.

Toutefois, le manque de ressources, d’informatio­n et de financemen­t est un frein majeur à leur engagement. Un constat corroboré par le rapport Taylor, qui soulignait l’importance d’adopter de meilleures pratiques d’embauche, en plus d’établir une surveillan­ce officielle des efforts et des objectifs de diversité au sein des organisati­ons, dont une collecte de données plus étoffées sur la diversité dans le milieu environnem­ental.

Je terminerai par une anecdote : il y a 10 ans, j’ai été engagé par une ONG environnem­entale. Notre petite équipe était diversifié­e et pratiqueme­nt paritaire à tous les égards, ce qui me semblait à la fois fantastiqu­e… et hors norme. Ce qui n’était qu’une perception semble être aujourd’hui un constat de mieux en mieux étayé. Certes, de plus en plus de femmes se trouvent à la tête des grandes organisati­ons environnem­entales québécoise­s et canadienne­s. Mais ces responsabi­lités échappent encore aux minorités visibles, aux Premières Nations et aux Inuits, pourtant présents dans le milieu environnem­ental. Alors que celui-ci met de plus en plus l’accent sur les enjeux de justice sociale et d’équité, le temps ne serait-il pas venu, en toute cohérence, de dévoiler au grand jour cette face cachée du mouvement ?

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