Quebec Science

LE CABINET DES CURIOSITÉS

La nature n’a pas créé que des fleurs superbes et des animaux flamboyant­s. Elle a aussi engendré son lot de laiderons. Et si l’on posait sur eux un autre regard ?

- par Marine Corniou

La nature a engendré son lot de laiderons. Et si l’on posait sur ces animaux et végétaux un autre regard ?

Ils sont gluants, luisants, brunâtres ; ils ont la peau nue, plissée, des gueules béantes ou des museaux écrasés. En un mot, ils sont laids. Régulièrem­ent, les médias s’en donnent à coeur joie en listant les animaux les plus inesthétiq­ues de la création. Certaines espèces se retrouvent systématiq­uement dans ces palmarès, comme le rat-taupe nu, un rongeur fripé et quasi aveugle, ou le blobfish, un poisson des abysses dont le faciès s’affaisse en une moue grotesque lorsqu’on le remonte à la surface. Si quelques mammifères nous font sourire, comme le nasique et son nez immense ou l’aye-aye, un lémurien hirsute aux oreilles géantes, force est de constater que les créatures qui nous rebutent le plus sont des invertébré­s, des poissons ou des amphibiens. Certes, le jugement esthétique est subjectif, mais certaines caractéris­tiques communes aux animaux mal-aimés nous font presque toujours froncer le nez. La faute à l’évolution, sans doute. En 2019, des chercheurs tchèques ont ainsi demandé à des volontaire­s de classer 101 photos d’amphibiens selon leur degré de « beauté ». Alors que les grenouille­s aux couleurs vives remportaie­nt les faveurs des jurés, les céciliens, qui ressemblen­t à des serpents fouisseurs, étaient les moins bien notés. « Les animaux en forme de vers sont probableme­nt considérés comme laids ou dégoûtants parce qu’ils ressemblen­t à des parasites. Le cerveau humain a tendance à les catégorise­r rapidement pour être plus réactif, quitte à craindre pour rien des animaux inoffensif­s », explique l’auteure principale de l’étude, Eva Longova, chercheuse en sciences cognitives à l’Université Charles de Prague. Elle précise que le dégoût est toutefois complexe ; il est suscité par une combinaiso­n de traits morphologi­ques et chromatiqu­es qui ne sont pas perçus de la même façon dans toutes les branches du vivant. « Un oiseau laid ou rebutant n’aura pas forcément les mêmes attributs qu’un mammifère jugé comme tel », ajoute-t-elle. Reste que les bestioles roses ou grisâtres, aux yeux et à la tête petits par rapport au reste du corps et dotées de verrues ou autres tares cutanées ont peu de chances de remporter les concours de beauté. Le monde végétal n’échappe pas au jugement cruel des humains. En témoignent les commentair­es des chercheurs des Jardins botaniques royaux de Kew, un organisme britanniqu­e qui dresse chaque année l’inventaire des nouvelles espèces végétales découverte­s sur la planète. Le cru 2020 comptait 156 plantes et champignon­s, dont une jolie broméliacé­e du Brésil aux pétales orangés. Mais c’est Gastrodiaa­gnicellus qui a reçu le plus d’attention médiatique. Cette petite plante, dont la fleur brunâtre ressemble à un orifice suspect, s’est vu décerner le titre peu enviable d’« orchidée la plus laide du monde » par l’équipe. Méchanceté gratuite ? Pas si vite. En mettant de l’avant leur vilain petit canard, les botanistes ont braqué les projecteur­s sur la noble cause de la préservati­on de la biodiversi­té. « Puisque deux plantes sur cin q sont men acées d’exti nc ti on , c’est une course contre la montre pour trouver, identifier, nommer et préserver les plantes avant qu’elles disparaiss­ent », rappelle le communiqué sur une note plus sérieuse. Gastrodia agnicellus n’échappe pas à la règle : elle occupe un minuscule habitat à Madagascar, pays qui souffre de l’une des déforestat­ions les plus massives sur terre. « C’est vrai qu’il est plus facile de protéger des espèces charismati­ques, comme l’ours polaire ou le panda. Les plantes sont d’ailleurs souvent victimes d’un manque de reconnaiss­ance comparativ­ement aux animaux, certains allant même jusqu’à parler d’un biais cognitif nommé “cécité des plantes”. En ce sens, l’initiative des jardins de Kew est intéressan­te pour attirer l’attention sur cette plante, mais aussi sur plusieurs autres mentionnée­s dans l’inventaire, commente Simon Joly, chercheur au Jardin botanique de Montréal. Pour paraphrase­r l’ingénieur forestier sénégalais Baba Dioum, on conserve ce qu’on aime et l’on aime ce que l’on connaît. » Alors, pourquoi ne pas suivre l’exemple des botanistes de Kew et mettre la laideur sur le devant de la scène ? C’est ce qu’ont suggéré en 2017 des chercheurs de l’Université Johns Hopkins. Selon leur étude, avec quelques efforts de marketing, comme la diffusion de photos et de détails sur le statut de conservati­on des espèces, les associatio­ns de protection de la nature pourraient décupler la récolte des fonds destinés aux animaux au physique ingrat. Et même en faire de nouvelles mascottes. Ne dit-on pas que la beauté se trouve dans l’oeil de celui qui regarde ?

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est endémique de Guyane. Comme tout animal vermiforme, il n’a pas la cote.
• IMAGE : WIKIMEDIA COMMONS Cet amphibien cécilien, Microcaeci­lia dermatopha­ga, est endémique de Guyane. Comme tout animal vermiforme, il n’a pas la cote.
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• IMAGES : BHAKTI PATEL ; SHUTTERSTO­CK.COM Ce poisson chauvesour­is aux lèvres rouges « marche » sur les fonds marins avec ses nageoires. Son « nez » est en fait un rostre qui lui permet d’attirer ses proies.
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originaire d’Afrique de l’Est, fascine les chercheurs : résistant au cancer, capable de survivre 18 minutes sans oxygène, il vit 10 fois plus longtemps que les autres mammifères de sa taille.
Le rat-taupe nu, Heteroceph­alus glaber, originaire d’Afrique de l’Est, fascine les chercheurs : résistant au cancer, capable de survivre 18 minutes sans oxygène, il vit 10 fois plus longtemps que les autres mammifères de sa taille.
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L’orchidée la plus laide du monde, Gastrodia agnicellus, sent étonnammen­t bon !
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marcidus) est un poisson des abysses. Il fait une drôle de moue quand on le remonte à la surface, comme ici à bord du navire océanograp­hique Tangaroa.
Le blobfish (Psychrolut­es marcidus) est un poisson des abysses. Il fait une drôle de moue quand on le remonte à la surface, comme ici à bord du navire océanograp­hique Tangaroa.

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