Couche d’ozone : le retour des gaz fluorés ?
L’interdiction progressive des hydrochlorofluorocarbones (HCFC), des gaz réfrigérants connus pour leur effet nocif sur la couche d’ozone, a été actée en 1987 par le Protocole de Montréal, que 196 pays ont signé. Mais ces substances n’ont pas disparu pour autant. Au contraire, la concentration de certains HCFC augmente dans l’atmosphère depuis quelques années. Pire, un nouveau gaz de cette famille a fait récemment son apparition !
C’est ce qu’a constaté une équipe suisse grâce à des données collectées dans les Alpes et dans huit autres stations du réseau mondial AGAGE (Advanced Global Atmospheric Gases Experiment), composé de capteurs répartis en altitude ou sur les côtes. Ceux-ci mesurent des gaz à l’état de traces, qui constituent moins de 0,1% de l’atmosphère.
« Nous avons détecté trois HCFC dont les concentrations se sont accrues au cours des dernières années, détaille Martin Vollmer, premier auteur de l’article publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. L’un d’eux, nommé HCFC-132b, est nouveau au sens où personne ne savait qu’il était présent dans l’atmosphère. Nous le mesurons depuis plusieurs années maintenant et, en nous appuyant sur des échantillons d’air archivés dans des cuves depuis 1978, nous avons noté qu’il est apparu dans les années 1990. »
C’est dans un centre perché à 3 500 m dans les Alpes que ce chercheur du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche traque les gaz polluants dans l’atmosphère tel un détective. Il doit maintenant résoudre l’énigme des trois gaz décelés : ils n’ont pas d’usage connu. « Ils pourraient être utilisés illégalement, mais il est plus probable qu’il s’agisse de sous-produits ou peut-être de matières premières pour certaines réactions chimiques », explique-t-il. Les usines produisant des fluides frigorigènes ou des mousses isolantes sont les principales suspectes.
Selon ces travaux, les émissions proviennent presque en totalité de l’Asie de l’Est. « Pour le HCFC-132b, c’est flagrant, précise Martin Vollmer. On a localisé la principale région d’émission dans le nord-est de la Chine; pour un autre, le HCFC-133a, la source est plutôt vers Shanghai. »
Si ces faibles quantités de gaz ne menacent pas la couche d’ozone dans l’immédiat, elles confirment une tendance inquiétante. « Le trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique s’est stabilisé et pourrait se refermer dans les décennies à venir. Mais de plus en plus de produits chimiques halogénés ne diminuent pas comme prévu », rappelle le scientifique. Ses constats font écho au scandale d’un autre gaz fluoré, le CFC-11, dont la production illégale est repartie à la hausse en Chine depuis 2012. « Ce que montre notre étude, dit-il, c’est qu’on ne peut pas se fier aux rapports d’inventaire des pays. Il faut compléter les données par des observations et des modélisations pour obtenir des estimations indépendantes des émissions de ces substances. » Il serait en effet dommage de relâcher la vigilance, alors que le Protocole de Montréal commence à porter ses fruits.