Éditorial
Dans le monde de la recherche, la COVID-19 accapare l’attention et les dépenses depuis plus d’un an. Que deviendra la science après la pandémie ?
Les chiffres sont vertigineux. En 2020, plus de 100 000 articles scientifiques ont été consacrés à la COVID-19 et au SRAS-CoV-2. Plus de 2 700 essais cliniques ont été lancés. Pour financer cet effort de recherche herculéen, les bailleurs de fonds publics et privés à travers le monde ont dépensé plus de neuf milliards de dollars américains, et ce n’est pas fini. La communauté scientifique a vécu au diapason de la pandémie, plusieurs chercheurs laissant tomber leurs travaux en cours pour se consacrer au virus et à ses ravages. Certains n’avaient pas la moindre expertise en maladies infectieuses, encore moins dans l’étude des coronavirus, mais ils ont tenté de transposer leurs connaissances afin de donner un coup de main à leurs collègues. D’autres ont agi par opportunisme ou par dépit, y voyant l’occasion d’obtenir des subventions ou de se tenir occupés pendant le confinement.
Que deviendront ces chercheurs lorsque la crise sanitaire sera derrière nous ? Sauront-ils revenir à leurs premières amours ? Parviendront-ils à trouver une raison d’être quand leur mission ne consistera plus à travailler sur des solutions pour remédier à une situation aussi rare que bouleversante ? Le financement sera-t-il au rendez-vous pour assurer la poursuite de la recherche dans toute sa diversité ? En un mot, saurons-nous éviter le piège de la « covidisation » ?
On doit ce néologisme au Dr Madhukar Pai, chercheur affilié à l’Université McGill et spécialiste du diagnostic et du traitement de la tuberculose. Dès le printemps 2020, il signait un texte sur les dangers de cette vision en tunnel où tout le système de production des connaissances, de l’idéation à l’investissement en passant par la publication et la médiatisation des résultats, n’a que pour seul intérêt la COVID-19. « L’humanité a connu de nombreuses crises au cours des siècles, écrivait-il. Celle de la COVID-19 passera également. L’attrait d’une solution rapide ou d’un afflux soudain d’argent peut être irrésistible, mais cela se fait-il au détriment d’autres domaines […] ? »
Il n’est pas le seul à s’inquiéter. L’éditeur savant Frontiers a mené un sondage au printemps passé auprès de plus de 22 000 scientifiques de 152 pays. Près de la moitié d’entre eux craignent qu’on leur retire une partie de leur budget pour rediriger ces sommes ailleurs. Une réalité déjà vécue par le quart des répondants… Quarante-cinq pour cent des chercheurs s’accordent à dire que, pour parer à la covidisation, les gouvernements devront accroître leur participation en recherche fondamentale − ces travaux guidés par le pur désir d’explorer l’inconnu. En entrevue, Madhukar Pai formule le même souhait : « Les bailleurs de fonds doivent s’assurer qu’ils soutiennent une science diversifiée et motivée par la curiosité. »
Voilà un cri du coeur répété par la communauté scientifique depuis longtemps, bien avant la pandémie. Les élus n’y sont guère sensibles. Ils préfèrent financer la recherche appliquée, porteuse de résultats concrets à présenter aux électeurs. Or, faut-il le rappeler, il n’y a pas de recherche appliquée sans recherche fondamentale. Si l’on doit tirer une leçon de la pandémie, c’est bien celle-ci : les fameux vaccins à ARN ne sont pas apparus comme par magie ; ils sont le fruit de travaux fondamentaux amorcés à la fin des années 1970 par Katalin Karikó, une biochimiste américaine d’origine hongroise, qui croyait dans le potentiel de l’ARN messager pour lutter contre des maladies et qui s’est battue pour faire progresser ses recherches, malgré le mépris de ses collègues et les nombreux refus des agences de financement.
Chaque jour, des idées inédites, improbables, voire rocambolesques, germent dans nos universités. Il faut oser parier sur ces savoirs en friche qui pourraient un jour contribuer à améliorer notre sort.
Heureusement, la sortie du Dr Pai n’est pas passée inaperçue. En juin dernier, le président du Conseil national de la recherche du Fonds national suisse, Matthias Egger, a pris position : la covidisation de la recherche n’aura pas lieu sous sa gouverne. Au moment d’écrire ces lignes, aucune déclaration de la sorte n’a été faite au Québec et au Canada. Néanmoins, la conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer, a abordé le sujet avec les dirigeants des organismes fédéraux subventionnaires à la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, tenue en novembre 2020.
C’est un début, mais il faut davantage. Le monde de la recherche ne pourra se redéfinir dans l’après- COVID- 19 avec des demi- mots et des demi- mesures. Les chercheurs doivent sentir que les pistes qu’ils creusent sont valides et importantes. Cela doit se manifester autant en espèces sonnantes et trébuchantes qu’en paroles. Le message clair et éloquent de Madhukar Pai doit être repris sur toutes les tribunes : « Si vous aimez la recherche sur les coelacanthes, les dinosaures, les quasars explosifs, la violence liée aux armes à feu, le réchauffement climatique, la matière noire ou tout ce qui vous tire de votre lit tôt le matin, continuez à vous y intéresser ! Nous en avons besoin ! »
Dans ce numéro, ma collègue Annie Labrecque m’a fait voyager dans le temps avec son reportage sur les cartes du monde. Témoins de notre histoire, elles ont été conçues par les grands explorateurs et les géographes d’autrefois, dont le savoir est toujours bien présent dans nos GPS et nos cartes numériques.
Voilà pourquoi il m’est apparu intéressant de proposer en couverture un parallèle entre l’image d’un globe à l’aspect futuriste et la suggestion d’une carte plus ancienne. Pour cela, j’ai mandaté l’exceptionnel Donald Robitaille afin d’illustrer cette idée. Mais avant toute chose, il nous fallait trouver LE globe qui ornerait la couverture. Rapidement, une difficulté étonnante a surgi : impossible de mettre la main sur un globe en français, ce qui est pourtant primordial pour un magazine publié au Québec. Après des jours de recherche, nous avons enfin découvert la perle rare. Tel un bijou argenté, il se détache sur un fond turquoise, une teinte qui rappelle le camaïeu de la mer, et repose sur une carte de couleur sable posée à plat. − Natacha Vincent, directrice artistique