Carnet de santé
Automne 2009. La deuxième vague de la pandémie de grippe A (H1N1) fait de nombreuses victimes. Je suis alors jeune journaliste à la Société Radio- Canada dans les Prairies. Je passe l’essentiel de mes journées à interviewer des médecins en santé publique qui orchestrent la lutte contre le virus en sensibilisant la population et en organisant une vaste campagne de vaccination. C’est à ce moment que je réalise que je suis du mauvais côté du micro. Sur un coup de tête, j’envoie ma demande d’admission en médecine. Et par une belle journée de mai, je reçois une réponse positive qui va changer ma vie.
J’attends la rentrée avec impatience. Fébrile, j’achète de nouveaux crayons et cahiers de notes, telle une écolière. L’ex-journaliste que je suis entre finalement dans un auditorium bondé du pavillon Roger- Gaudry de l’Université de Montréal, en pleine canicule, pour commencer « l’année préparatoire en médecine ». Au programme : cours de biologie, de physiologie, d’anatomie, d’embryologie, mais aussi d’éthique, de sciences sociales et de statistique. Submergée par les études, j’ai de la broue dans le toupet ! Mais je n’avais encore rien vu…
L’année suivante, j’amorce le doctorat en médecine. Je commence par deux ans de cours, où je décortique tous les systèmes du corps humain et leurs troubles. Une fois par semaine, j’ai le privilège d’aller à l’hôpital pour apprendre les rudiments de la profession. Stéthoscope au cou, j’ai l’impression de jouer à DreGrey,leçonsd’anatomie (avec un peu moins de romance tout de même). Je rencontre mes premiers « vrais » patients et formule mes premières hypothèses diagnostiques − qui ratent souvent la cible ! Le contact avec les malades me confirme que, même si la route est encore longue, je suis sur le bon chemin.
Ensuite, c’est l’externat. Deux ans de stages en continu pour mettre nos connaissances théoriques en pratique. Toutes les spécialités médicales y passent : médecine familiale, psychiatrie, gynécologie-obstétrique, pédiatrie, chirurgie, etc. Être externe, c’est ingrat. Les journées sont bien − parfois trop − remplies à l’hôpital et le soir il faut étudier pour avoir l’air intelligent le lendemain et impressionner nos patrons. Pour moi, c’est aussi le premier contact avec la gériatrie. Les gériatres sont les médecins les plus bienveillants que j’ai jamais vus ! Et que dire des patients, avec leurs parcours de vie complexes, leurs problèmes de santé tout aussi complexes et la reconnaissance qu’ils ont envers leurs soignants…
Ces deux ans de labeur s’achèvent par un examen qui me permet enfin d’être reçue médecin et d’entamer la prochaine étape : la résidence. Elle dure cinq ans, car j’ai choisi la gériatrie ; si j’avais opté pour la médecine familiale, il m’en aurait fallu deux. Il y a plus de 3 500 résidents chaque année au Québec. Ils posent des diagnostics, enseignent aux stagiaires, font des gardes, prescrivent des traitements à raison de 72 heures par semaine en moyenne. Ils demeurent toutefois sous la supervision constante d’un médecin en exercice. Je peux témoigner qu’il est parfois difficile d’être évalué constamment… J’imagine que cela nous prépare à affronter le regard parfois très critique que pose la société sur notre profession.
Janvier 2021. La pandémie de COVID-19 atteint des sommets. Après un congé de maternité, je retourne à l’hôpital finir ma résidence. J’ai vraiment hâte de revenir au front et de terminer ma formation médicale. Au moment où vous lirez ces lignes, je serai officiellement interniste gériatre, en plus d’avoir le privilège d’être chroniqueuse à QuébecScience.
Alors mes études sont-elles enfin finies, comme me le demandent mes proches depuis une décennie ? Eh bien non. La formation se poursuit tout au long de la carrière d’un médecin, car il faut accumuler au moins 250 heures de formation continue par cycle de cinq ans pour rester à la fine pointe des connaissances. On dit que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Vous savez maintenant qu’en médecine tant qu’il y a de la maladie, il y a de l’étude.