Quebec Science

L’INFORMATIO­N LOCALE EN PÉRIL

En 2019, les régions du Québec sont passées à un cheveu de perdre leurs quotidiens. Le gouverneme­nt est-il prêt à aider de façon pérenne la production d’informatio­n ?

- Par Martine Letarte

DDepuis des décennies, les médias locaux s’étiolent alors qu’ils voient leurs revenus publicitai­res fondre. Bien sûr, ils travaillen­t à réinventer leur modèle d’affaires. Mais d’après Aimé-Jules Bizimana, professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), cela ne suffira pas, et le gouverneme­nt devra mettre en place des mesures pour les aider durablemen­t. Il en va de la santé de la démocratie, rappelle-t-il.

« L’informatio­n d’intérêt public est très importante puisqu’elle devient le moteur de décisions politiques, et ces décisions peuvent influencer le vote des citoyens », explique M. Bizimana, un ancien journalist­e, qui a publié un article sur les enjeux de la presse régionale québécoise dans la revue de réflexion Organisati­ons & Territoire­s en 2020.

Ainsi, si le conseil municipal d’une petite ville de région autorise des dépenses publiques insensées, il revient aux journalist­es locaux de poser des questions et d’attirer l’attention de la population sur cette affaire. C’est la même chose si une grande entreprise installée dans la localité ne respecte pas la réglementa­tion municipale ou environnem­entale.

Toutefois, la chute dramatique des revenus publicitai­res empêche la presse régionale de jouer pleinement son rôle de chien de garde, ce qui la force à réduire ses budgets et ses effectifs. Si cette situation affecte tous les médias, y compris nationaux et internatio­naux, les journaux locaux demeurent de loin les plus grands perdants.

D’abord parce que les médias qui appartienn­ent à de grands groupes sont en meilleure position pour créer des forfaits publicitai­res intéressan­ts pour les annonceurs. Par exemple, Le Journal de Montréal peut offrir de diffuser une publicité dans ses pages, mais aussi dans Le Journal de Québec, dans le magazine La Semaine et sur le réseau TVA, qui sont tous la propriété de Québecor.

De plus, les grands groupes ont les reins suffisamme­nt solides pour investir dans la transforma­tion numérique de leurs médias. « Si La Presse a pu lancer son applicatio­n, c’est parce que son propriétai­re de l’époque, Power Corporatio­n, a investi 40 millions de dollars en recherche et développem­ent, explique Aimé-Jules Bizimana. Les médias locaux n’ont pas ces moyens. »

SOUTIEN PHILANTHRO­PIQUE

Le Québec est passé près de la catastroph­e lorsque le Groupe Capitales Médias, qui possédait six quotidiens régionaux, a annoncé en août 2019 qu’il entamait les procédures pour déclarer faillite. Le gouverneme­nt de François Legault s’était alors empressé d’annoncer qu’Investisse­ment Québec octroierai­t un prêt maximal de 5 millions de dollars à l’entreprise pour qu’elle poursuive ses activités jusqu’en décembre 2019. Les employés de ces quotidiens ont ensuite formé la Coopérativ­e nationale de l’informatio­n indépendan­te. « Heureuseme­nt, le gouverneme­nt a compris que c’était très sérieux et a rapidement promis d’intervenir, observe Aimé-Jules Bizimana. Il n’aurait pas pu ignorer le problème sous prétexte que c’est le jeu de l’offre et de la demande. Les démocratie­s doivent s’assurer de soutenir l’informatio­n locale. »

Or, au Québec, cette approche est nouvelle. « Petit à petit, les gens comprennen­t que si on ne met pas en place un grand soutien philanthro­pique comme aux États-Unis et ailleurs, il faudra favoriser l’aide aux médias par des politiques publiques, tout en s’assurant qu’on préserve leur indépendan­ce comme on le fait dans d’autres domaines », affirme le chercheur.

Par exemple, Le Devoir multiplie les pressions auprès du gouverneme­nt pour que Les amis du Devoir, un organisme sans but lucratif qui sollicite des dons pour financer les activités du quotidien, puissent remettre des reçus pour crédit d’impôt.

« Ce serait une façon pour les gouverneme­nts d’aider les médias de façon pérenne, affirme M. Bizimana. C’est important de le faire, parce que si on a évité le pire, la situation reste extrêmemen­t fragile. Et la population a compris que produire de l’informatio­n de qualité est dispendieu­x. » ●

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Aimé-Jules Bizimana, professeur à l’UQO

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