Quebec Science

LA SOCIAL-DÉMOCRATIE RESTE TRÈS RÉSILIENTE

Contrairem­ent aux perception­s, l’État-providence se porte très bien, et les filets de protection se renforcent.

- Par Jocelyn Coulon

Iln’est jamais conseillé de se laisser dominer par ses sentiments ou ses perception­s. Ainsi, certaines personnes, de plus en plus nombreuses, accréditen­t l’idée que la social-démocratie est en déclin depuis une vingtaine d’années, et que ce recul est le résultat d’une combinaiso­n de facteurs mortifères : la mondialisa­tion, les délocalisa­tions, les développem­ents technologi­ques, le libre-échange, la montée du populisme... Qu’en est-il réellement ?

« J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer, dit Stéphane Paquin au téléphone. La social-démocratie est bien plus résiliente et en santé qu’on le pense. » Professeur à l’École nationale d’administra­tion publique (ENAP), il publie ce printemps La mondialisa­tion, une maladie imaginaire, que nous avons pu lire en exclusivit­é. Un essai coup de poing dans lequel, chiffres à l’appui, il minimise les effets de la mondialisa­tion sur l’État-providence et documente l’extraordin­aire vigueur de la socialdémo­cratie, qui, même aujourd’hui, colore les actions de gouverneme­nts considérés comme libéraux ou conservate­urs.

Avant d’écrire son livre, Stéphane Paquin était frappé par le pessimisme à l’égard de l’État-providence, que plusieurs estiment « en recul ». Pourtant, les statistiqu­es qu’il compilait sur les dépenses publiques en santé, en éducation ou en aides diverses aux plus démunis contredisa­ient le discours ambiant. « Je faisais face à un paradoxe, dit-il. Les dépenses qui financent l’État-providence sont à un sommet historique. Avant la crise de la COVID-19, l’emploi était à un niveau inédit pour les deux tiers des pays de l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE), malgré le libre-échange et l’automatisa­tion. Et les pays sociaux-démocrates (Suède, Finlande, Danemark) surperform­ent par rapport aux pays libéraux (Canada, Royaume-Uni, États-Unis). Malgré tout, les doutes subsistent quant à la capacité de l’État à maintenir un niveau élevé de politiques sociales. »

Le chercheur s’est alors demandé : pourquoi croit-on que la social-démocratie est en déclin ? Il a trouvé plusieurs explicatio­ns. Il y a d’abord la désaffecti­on des électeurs envers les partis sociaux-démocrates. Pendant des années, ces derniers ont perdu des voix au profit de partis libéraux ou centristes. Au Québec par exemple, le Parti québécois, porte-étendard de la social-démocratie, a quasiment disparu. Ensuite, la perception d’un recul est alimentée par les effets de la mondialisa­tion sur certaines catégories de gens qui ont perdu leur emploi ou vu leurs revenus stagner.

Enfin, notre imaginaire collectif nous joue des tours. « Les mauvaises nouvelles restent plus longtemps gravées dans notre mémoire que les bonnes, dit Stéphane Paquin. Ce biais conduit à un autre : celui de la perception du déclin, qui consiste à penser que le monde allait bien mieux avant et à juger le présent à l’aune d’un passé idéalisé. » Or, presque tous les indicateur­s sociaux, même aux États-Unis, indiquent un renforceme­nt des filets de protection. « Il y a parfois des resserreme­nts, mais la tendance est à une augmentati­on de la protection », dit-il. « Au Québec, les programmes sociaux sont rarement contestés par les élites, même par les caquistes. En fait, le gouverneme­nt de la Coalition avenir Québec (CAQ) a bonifié les garderies publiques, les congés parentaux, l’égalité salariale, l’accès aux lunettes gratuites... » Pourquoi ? Stéphane Paquin risque une explicatio­n. « Les dirigeants “conservate­urs” sont des enfants de la social-démocratie. Ils tiennent à cet État-providence qui est devenu “normal”. Ils l’ajustent, mais ils ne le remettent pas en cause. Dès lors, les partis sociaux-démocrates n’ont plus le monopole de la social-démocratie. »

Et la pandémie de COVID-19 ne va pas changer cette orientatio­n. ●

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Stéphane Paquin, professeur à l’ENAP

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