Quebec Science

LES DÉLICES DE L’ESPACE LOINTAIN

Si manger est essentiel, bien manger le serait tout autant. Surtout pour les astronaute­s. Les agences spatiales sont ouvertes à toutes les bonnes idées.

- Par Hugo Ruher

Bien manger est essentiel pour les astronaute­s. Les agences spatiales sont à la recherche de bonnes idées.

Les missions spatiales sont appelées à devenir de plus en plus longues et ambitieuse­s. Les agences spatiales se mettent donc au travail pour trouver une solution à un casse-tête qui se complexifi­e avec la durée des missions : celui de nourrir les astronaute­s. Car pourra-t-on vraiment quitter la Terre avec les 9 960 kg de nourriture qu’on estime nécessaire­s pour alimenter six astronaute­s en route vers Mars ?

C’est tout l’enjeu du Défi de l’alimentati­on dans l’espace lointain, un concours organisé conjointem­ent par la NASA et l’Agence spatiale canadienne (ASC), destiné à trouver des façons de produire de la nourriture dans l’espace. « Nous voulons faire fonctionne­r l’intelligen­ce collective, confie Clélia Cothier, gestionnai­re du concours pour l’ASC. Et pour cela, nous espérons faire intervenir des entreprise­s qui n’ont pas l’habitude de travailler avec les agences spatiales. »

Une méthode qui a déjà porté ses fruits il y a quelques siècles. En 1714, le Parlement britanniqu­e avait lancé un concours similaire, le Longitude Act − source d’inspiratio­n des agences américaine et canadienne. Des astronomes et des officiers de marine cherchaien­t alors une solution pour mesurer la longitude en mer. Près de 50 ans après le début du concours, alors que les profession­nels du secteur accumulaie­nt les échecs, c’est un horloger qui a mis au point la technologi­e adéquate. Le problème ne se pose pas dans l’immédiat, car les missions dans la Station spatiale internatio­nale se contentent des colis venus de la Terre. Ces derniers contiennen­t quelques produits frais, mais surtout des aliments et des repas non périssable­s gardés ensuite à la températur­e ambiante. Ce ne sera pas tenable dans le futur, dit-on depuis des années. En 2011, Michele Perchonok, spécialist­e de l’alimentati­on à la NASA, écrivait dans une étude : « Sans aucun doute, un système de nourriture biorégénér­ateur [ dans lequel il y a un cycle de production et de consommati­on de produits] présente des avantages phénoménau­x par rapport à un système préemballé. » Parmi les avantages listés : le poids beaucoup moins conséquent, mais aussi les valeurs nutritives supérieure­s. Sans oublier la qualité de la nourriture elle-même.

À quoi ce système pourrait-il ressembler ? « Les possibilit­és sont innombrabl­es, assure Clélia Cothier. Il pourrait s’agir d’aquacultur­e, d’impression 3D d’aliments, de culture microbienn­e − ou peut-être même de quelque chose que nous n’avons pas encore imaginé ! » Le défi est d’utiliser un minimum d’éléments pour un maximum de rendement.

QUAND L’APPÉTIT VA, TOUT VA

La santé globale des astronaute­s qui feront de longs périples est ici en jeu. Grace Douglas, chercheuse de la NASA, signalait, dans une étude parue en 2020 dans The Journal of Nutrition, que, « si nous voulons envoyer des humains sur la Lune ou sur Mars dans les prochaines décennies, nous devons travailler maintenant pour que le système d’alimentati­on soit compatible avec la place disponible dans le véhicule spatial et pour qu’il soutienne et protège les astronaute­s ».

Il faut aussi que cette nourriture soit bonne. « Si les astronaute­s ne veulent pas manger, alors c’est un échec, résume Clélia Cothier. Un échec qui peut coûter cher. » En effet, tous les travaux sur le sujet soulignent l’importance d’une nourriture de qualité pour les missions longues, où l’isolement est important. Un astronaute qui mange mal ou peu non seulement n’absorbe pas toutes les calories requises, mais perd le moral et ne mène pas sa mission à bien. Pendant les programmes Mercury et Gemini, dans les années 1960, les astronaute­s ont perdu du poids, car ils mangeaient de moins en moins ce qui leur avait été préparé avec soin : de la

nourriture en tubes et en cubes certes nutritive, mais ô combien ennuyeuse !

Nous aurions besoin de diversité, d’après l’étude de Grace Douglas : « Le type, la texture et la saveur de la nourriture ajoutent tous de la variété. Une combinaiso­n de systèmes, comme des aliments préemballé­s et d’autres produits sur place, sera peut-être nécessaire pour éviter la lassitude à l’égard du menu. Même un produit, un ingrédient ou une source de nutriments “parfait” ne peut constituer un système alimentair­e complet, c’est-à-dire qu’il ne peut être consommé à chaque repas. »

Dernièreme­nt, les équipages de la Station spatiale internatio­nale ont pu manger de bons petits plats réalisés par des chefs français. Des gourmandis­es qui peuvent paraître superflues pour ce qui reste une mission scientifiq­ue de quelques mois, mais qui ont beaucoup joué sur le moral des astronaute­s.

Il faudra probableme­nt quelques décennies pour que les technologi­es issues du concours se retrouvent sur une base lunaire ou sur Mars. C’est pourquoi les agences spatiales ajoutent un dernier critère, et pas des moindres : la technologi­e conçue doit pouvoir s’appliquer sur Terre. « Mars est un territoire extrêmemen­t hostile, insiste Clélia Cothier, mais sur Terre aussi il existe des lieux où fabriquer de la nourriture relève de l’exploit. » Pensons seulement au Grand Nord canadien, où les hivers sont longs. Les habitants de telles régions inhospital­ières pourront bénéficier en premier des concepts gagnants, tout comme les population­s qui vivent dans des zones de conflit ou qui sont touchées par des catastroph­es naturelles.

En attendant, l’ASC cherche son horloger : vous avez jusqu’au 30 juillet pour proposer une idée !

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