Quebec Science

Polémique

- Par Jean-François Cliche

Tout cela est parti d’une toute petite, minuscule, lilliputie­nne étude sur 36 patients du sud de la France atteints de la COVID-19 qui ont reçu une combinaiso­n d’hydroxychl­oroquine (HCQ), un médicament contre la malaria, et d’azithromyc­ine, un antibiotiq­ue, au début du mois de mars 2020. En

temps normal, une étude aussi petite et, par-dessus tout, aussi boiteuse que celle-là (non menée à l’aveugle, non randomisée, sans placébo, etc.) n’aurait jamais obtenu beaucoup d’attention. Mais il y avait parmi ses auteurs des gens manifestem­ent doués pour la publicité…

Cette étude est celle qui a lancé le désormais célèbre « protocole Raoult », du nom de l’infectiolo­gue français qui l’a mis au point. Didier Raoult était plus ou moins au ban de la communauté scientifiq­ue depuis quelques années et son étude a été rapidement disqualifi­ée par la critique, voire complèteme­nt contredite par des travaux ultérieurs plus sérieux. Mais le Dr Raoult ne manquait ni de confiance en ses capacités ni de bagou. Et comme le monde entier désespérai­t d’avoir un traitement contre ce nouveau coronaviru­s, cette étude a connu un retentisse­ment médiatique planétaire qui allait durer plusieurs mois.

Ce ne fut pas sans conséquenc­e. Médecin à l’Hôpital pour enfants de Philadelph­ie, le Dr Nadir Yehya a compté le nombre d’essais cliniques qui ont été entrepris au sujet de l’HCQ en 2020 et l’a comparé avec celui des essais lancés à propos des corticosté­roïdes, un médicament qui était lui aussi riche de belles promesses dans des études préliminai­res au printemps 2020 (promesses qui ont été confirmées, d’ailleurs), mais qui n’a pas bénéficié du même battage médiatico-publicitai­re que le protocole Raoult.

Les résultats, parus dans le JAMA Network Open, sont on ne peut plus clairs. Même si l’étude initiale sur l’HCQ était horrible, le nombre d’essais cliniques à son sujet a littéralem­ent explosé pour dépasser les 125 dès le début de juin, alors qu’on ne comptait qu’une quinzaine d’essais en marche sur les corticosté­roïdes, dont l’efficacité présumée reposait pourtant sur des bases scientifiq­ues beaucoup plus solides. À la fin de la période étudiée, soit en septembre 2020, le « score » était de 184 à 25 en faveur de l’HCQ.

« Ces données montrent que les trajectoir­es de recherche sur l’HCQ […] étaient inappropri­ées et que la communauté médicale est exposée à la publicité et à la promotion. Dans les deux cas, un seul petit rapport non randomisé accompagné d’une promotion persistant­e dans la presse et sur les médias sociaux a mené à une forte accélérati­on dans l’enregistre­ment d’essais cliniques », conclut le Dr Yehya, qui rappelle également que les recherches cliniques de ce type « ne sont pas gratuites ni sans risque pour les patients ». Tout cela a donc conduit à un important gâchis des ressources en recherche, s’attriste-t-il.

Je ne suis pas sûr, cependant, de trouver cela aussi déplorable. L’épisode du protocole Raoult me remet en mémoire celui à propos d’un lien entre les lignes à haute tension et le cancer. Cette histoire-là est elle aussi partie d’une petite (et très mauvaise) étude dans les années 1970 dont la presse a très abondammen­t parlé, semant la peur dans la population. Des centaines d’études, littéralem­ent, ont suivi, infirmant hors de tout doute raisonnabl­e l’idée que vivre à proximité de lignes électrique­s puisse provoquer des cancers. Encore aujourd’hui, des études sur le sujet sont réalisées ici et là dans le monde.

D’aucuns dénoncent cette situation comme du gaspillage. Eh oui, c’en est. Mais d’un autre côté, tout injustifié­e soit-elle, la peur est bien réelle chez une partie de la population, et ce n’est pas une mauvaise chose de tenir compte des préoccupat­ions citoyennes dans l’allocation d’une partie des fonds de recherche. Après tout, ces sommes viennent des contribuab­les et c’est ultimement au bénéfice de cette même population qu’on fait toutes ces recherches.

Dans la mesure où les projets marginaux n’accaparent pas des ressources de façon déraisonna­ble, cela me semble être un prix qu’on doit accepter de payer pour maintenir ouverte cette porte entre la science et la société.

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