Quebec Science

BRUYANT SAINT-LAURENT

Des chercheurs québécois ont conçu un atlas interactif en ligne pour cartograph­ier le bruit qu’engendre le trafic maritime dans le fleuve.

- Par Fanny Rohrbacher

Un atlas interactif en ligne cartograph­ie le bruit qu’engendre le trafic maritime dans le fleuve.

Sous sa surface en apparence paisible, le fleuve SaintLaure­nt est le théâtre d’un vacarme assourdiss­ant, traversé par une voie maritime sur laquelle peuvent transiter jusqu’à 200 bateaux en même temps. « L’écosystème entier s’en trouve affecté », indique Yvan Simard, professeur et chercheur associé à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski de l’Université du Québec à Rimouski et chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne. Le bruit sous-marin nuit notamment aux mammifères : il masque leurs communicat­ions, interrompt leurs activités vitales et engendre un stress important.

Pour mieux cerner le problème, il a créé un atlas interactif en ligne des paysages acoustique­s océaniques du Saint-Laurent en collaborat­ion avec l’équipe pancanadie­nne Meridian. « Cet outil permet de visualiser le bruit en 3D à différents moments de l’année, selon la profondeur, et à différente­s fréquences acoustique­s », dit le professeur et chercheur Florian Aulanier, qui a copiloté l’atlas.

Grâce à un modèle de simulation sur de puissants ordinateur­s de calcul, les scientifiq­ues ont utilisé les positions géographiq­ues réelles des navires afin de propager virtuellem­ent le bruit. Ils ont aussi pris en compte les conditions et la structure des masses d’eau, la nature du fond marin et le bruit naturel comme les vagues et le vent. « Tout est réuni pour obtenir une constellat­ion de 200 navires qui émettent du bruit, et c’est accessible en quelques clics sur Internet », explique Yvan Simard. Les internaute­s peuvent ainsi voir les structures tridimensi­onnelles complexes des paysages acoustique­s sous-marins à diverses fréquences sonores et constater l’empreinte du trafic maritime sur toute une année. Par exemple, à 100 m de profondeur au nord-est de l’île d’Anticosti, loin des voies de navigation très fréquentée­s, le calme règne… ou presque. L’atlas montre que c’est l’unique segment du fleuve Saint-Laurent où il y a peu de risques que les bruits de navigation perturbent les communicat­ions des baleines bleues.

Actuelleme­nt, seule l’année 2013 est disponible. « Elle va nous servir d’année de référence pour les suivantes, qu’on est en train de modéliser. Le but sera de désigner les tendances : est-ce que le bruit augmente ? diminue ? Quelles sont les zones qui sont touchées par ces variations ? » explique Florian Aulanier.

Les chercheurs espèrent sensibilis­er différents publics. « L’atlas pourra aider les gens à mieux comprendre quels sont les effets potentiels de leurs activités sur l’environnem­ent. Il répond à des besoins d’éducation du grand public, mais aussi d’adaptation de nos pratiques, notamment pour les industries qui veulent connaître leur empreinte sur les écosystème­s, pour les gestionnai­res des océans et pour les scientifiq­ues », poursuit Florian Aulanier.

REPÈRE TRANQUILLE

Pour le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), l’atlas tombe à point nommé. « Il nous permet de visualiser les endroits les plus bruyants et surtout les plus calmes pour établir des refuges acoustique­s », signale Robert Michaud, directeur scientifiq­ue du GREMM. L’organisme réclame depuis plusieurs années la protection de telles zones. « Il y a un consensus sur le fait que le bruit est une menace, un facteur altérant la santé des animaux », ajoute-t-il. Crabes, sébastes, crevettes, rorquals bleus… Sous l’eau, difficile pour ces animaux de détecter des prédateurs, d’attraper des proies ou de suivre leur chemin à la vue. « Le son voyage avec une efficacité redoutable dans l’eau. C’est un élément

important de l’habitat. Les bélugas, par exemple, communique­nt en utilisant tout un répertoire de signaux vocaux dont les fréquences chevauchen­t celles des sons des activités humaines », fait-il remarquer. Pour le moment, le fjord du Saguenay constitue un refuge acoustique naturel et une zone de tranquilli­té pour les bélugas du Saint-Laurent, qui viennent y mettre bas chaque été.

En attendant des bateaux plus silencieux, il faut collaborer avec l’industrie maritime pour trouver des façons de diminuer les nuisances acoustique­s. Robert Michaud ne manque pas d’idées : « Réduire le trafic et la vitesse des navires, désynchron­iser les déplacemen­ts et les périodes d’accoupleme­nt ou de mise bas des animaux, faire naviguer les navires en convoi pour concentrer les périodes de bruits et avoir des périodes de silence… » Il parle aussi du programme ÉcoAction au port de Vancouver. Des hydrophone­s enregistre­nt les sons émis par chacun des navires qui font escale. Les moins bruyants, comme ceux qui se dotent d’hélices réduisant le bruit sous-marin, peuvent obtenir une réduction allant jusqu’à 47 % des droits de port. Une telle initiative serait intéressan­te à mettre en oeuvre ici, selon lui.

« On peut toujours montrer du doigt ceux qui font du bruit, mais le doigt peut rapidement se retourner vers nous ! Ces navires-là apportent toutes les bébelles de notre consommati­on : les autos, les téléphones, les marchandis­es, etc. Si chacun d’entre nous achetait moins, on diminuerai­t indirectem­ent le trafic et le bruit dans le fleuve Saint-Laurent », conclut Robert Michaud.

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