Carnet de santé
J’ai entendu parler de la chose pour la première fois dans un cours d’embryologie, en première année de médecine : au moins une grossesse sur quatre se termine par une fausse couche. « Ah bon ! Il me semble que c’est beaucoup », me suis-je dit. La deuxième fois, j’étais en stage d’obstétrique et gynécologie. Je me demandais pourquoi les femmes qui avaient un saignement vaginal au premier trimestre de leur grossesse étaient dirigées vers le service des urgences − et non à notre clinique. « Il y aurait beaucoup trop de patientes ! La plupart perdent leur bébé, on ne peut pas toutes les prendre en charge ! » m’a-t-on répondu le plus normalement du monde.
Voici donc, mesdames et messieurs, l’essentiel du contenu sur les fausses couches et le deuil périnatal qu’on m’a présenté pendant la totalité de mes études médicales. Pour une situation qui touche plus de 20 000 Québécoises et 23 millions de femmes par année dans le monde, j’estime que c’est nettement insuffisant. Imaginez : cela représente une fausse couche toutes les 44 secondes !
La revue TheLancet fait malheureusement le même constat dans un dossier publié en avril 2021 qui s’intitule « Miscarriage Matters » − un clin d’oeil au mouvement Black Lives Matter. D’entrée de jeu, les auteurs admettent que le phénomène est mal compris par les femmes, les hommes et les professionnels de la santé. D’abord, notons qu’il est difficile à cerner. Chez certaines, la fausse couche se manifeste par des saignements et des douleurs qui ressemblent à des crampes menstruelles, alors que, chez d’autres, elle passe complètement inaperçue.
Autre problème : la définition même d’une fausse couche, qui ne fait pas consensus. Généralement, on la décrit comme un arrêt spontané de la grossesse avant la viabilité d’un foetus, c’est-à-dire sa capacité à vivre dans un environnement extra-utérin.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la limite de la viabilité varie selon l’âge ou le poids : plus de 22 semaines d’aménorrhée ou plus de 500 g. Dans certains pays, ce seuil est régi par des lois, comme en Grande-Bretagne (24 semaines). Au Québec, il est déterminé par expertise médicale. Les progrès en néonatologie ne cessent toutefois de repousser ces limites, ce qui n’aide pas à dissiper ce flou artistique.
Les fausses croyances au sujet des fausses couches sont légion et alimentent la culpabilité des femmes depuis trop longtemps. Il est hélas commun de les attribuer à tort à l’activité physique, comme soulever des charges ou laver le plancher avec vigueur, aux relations sexuelles ou encore à la prise de contraceptifs oraux. Elles sont plutôt dues, la plupart du temps, à des anomalies chromosomiques de l’embryon. Elles dépendent aussi de l’âge des femmes − les plus jeunes et les plus âgées sont davantage à risque − de même que de l’âge des hommes ! En effet, un « futur papa » de plus de 40 ans est un facteur de risque en soi.
Devant ce manque cruel de connaissances, la plupart auront tendance à banaliser la fausse couche. « Vous n’aurez pas eu le temps de trop vous attacher » ou encore « Ce n’est que partie remise ». Ces réactions n’aident pas les parents endeuillés à traverser la tempête.
Pour toutes ces raisons, je dis aux femmes qui se dirigent vers les urgences aux premiers symptômes de la fausse couche de tenir bon. Trop souvent, elles seront laissées à ellesmêmes en attendant de voir un médecin, à faire l’aller-retour entre la salle d’attente et la salle de toilettes pour gérer leurs saignements et leur peine… Le système de santé peut faire mieux pour elles, par exemple en créant un corridor de service réservé.
Force est d’admettre que la peine n’est pas proportionnelle au nombre de semaines de gestation. Faisons en sorte qu’il en soit de même de notre
compassion.