DANS LA PEAU D’UNE PERSONNE NOIRE
Une équipe montréalaise vérifie si « changer de corps », grâce à la réalité virtuelle, ne réduirait pas les préjugés raciaux.
La réalité virtuelle peut-elle réduire les préjugés raciaux ?
L’adage dit que nous ne devrions pas juger de la vie de quelqu’un sans avoir marché un mille dans ses souliers.
Pour tenter de court-circuiter les préjugés envers les personnes noires, l’étudiant Rémi Thériault, sous la supervision du professeur de l’Université McGill Amir Raz, a forcé l’application de cet adage. Il a utilisé le logiciel The Machine to Be Another, inventé par un collectif artistique et scientifique international, qui donne l’impression d’habiter le corps d’un autre.
Les premiers résultats de l’équipe ont été publiés en mai dans le Quaterly Journal of Experimental Psychology. Des participants ont défilé tour à tour dans un laboratoire où ils ont été jumelés à une personne noire du même sexe qu’eux (et complice des scientifiques). Chaque membre du duo était ensuite isolé dans un lieu identique où il mettait un casque de réalité virtuelle muni d’une caméra. Ce qui était capté par la caméra de l’un était envoyé vers le casque de l’autre. Un scientifique indiquait alors les mouvements à réaliser en simultané. Par exemple, si le participant touchait ses jambes, il voyait les jambes et les bras de la personne noire qui bougeait comme lui.
À la fin, les participants remplissaient une série de questionnaires mesurant leurs biais et leur niveau d’empathie.
Enfin, un groupe témoin, c’est-à-dire des sujets qui ne changeaient pas de corps, mais passaient par le même processus (casque, mouvements et questionnaires), servait à mesurer l’efficacité de l’exercice.
Cependant, une surprise attendait les chercheurs : les résultats ont montré que l’ensemble des participants n’avaient pratiquement pas de préjugés inconscients envers les personnes noires! Difficile, alors, de vérifier si la stratégie fonctionne… Elle a néanmoins stimulé l’empathie des sujets. L’étude est actuellement reprise par la même équipe en Californie.
Cette expérience est allée un pas plus loin que deux autres études menées en 2013 grâce à la réalité virtuelle: dans la première, des femmes blanches se trouvaient dans la peau d’un avatar noir ; dans la seconde, des chercheurs donnaient l’impression à des participants blancs d’avoir une main foncée. Chaque exercice a diminué les préjugés raciaux.
Le chercheur de l’Université de Barcelone Mel Slater, qui a conduit les travaux en 2013 avec l’avatar, a été étonné que l’expérience de l’Université McGill n’ait pas entraîné une baisse des préjugés. Il pense que le profil diversifié des participants − ils n’étaient pas tous blancs − a pu avoir une influence. « Une autre différence majeure par rapport aux travaux précédents est que, avec The Machine to Be Another, vous changez de corps avec une véritable personne. Il vous faut donc suivre ses mouvements. Quant à l’avatar, il suit automatiquement vos gestes grâce à la captation en temps réel de vos mouvements. » Peut-être que l’illusion est meilleure et donc plus efficace.
Rémi Thériault explique que, si l’intervention testée se révèle positive en Californie et dans des études subséquentes, elle pourrait être utilisée dans des écoles. « Cela étant dit, je pense que l’illusion de l’échange de corps ne peut pas facilement être appliquée à grande échelle, car elle demande beaucoup de logistique et, pour l’instant, l’équipement est toujours relativement dispendieux », dit celui qui a été finaliste en 2019 du concours J’ai une histoire à raconter, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, où il devait résumer son projet en trois minutes.
Dans le cadre de son doctorat à l’Université du Québec à Montréal, il s’intéresse à des approches plus simples, comme la méditation, qui permet de cultiver la bienveillance. « C’est sûr que la méditation peut sembler moins cool que la réalité virtuelle. Mais elle a plus de potentiel pour un effet maximal, je crois. »