Quebec Science

SUS AUX CONTAMINAN­TS!

VALÉRIE LANGLOIS ÉTUDIE LES RÉPERCUSSI­ONS DES CONTAMINAN­TS SUR LES VERTÉBRÉS ET SOUHAITE SENSIBILIS­ER LE PUBLIC À L’IMPORTANCE DE MIEUX RÉGLEMENTE­R CES SUBSTANCES.

- Par Maxime Bilodeau

Valérie Langlois étudie les répercussi­ons des contaminan­ts sur les vertébrés et sensibilis­e le public à cette question.

Le Disperse Yellow 7 (DY7) et le dinonylnap­hthalène sulfonate de calcium (CaDNS) ne sont pas les contaminan­ts les plus connus. Ils n’avaient d’ailleurs jamais été vraiment étudiés. Ces substances chimiques, qui entrent dans la fabricatio­n des vêtements et de lubrifiant­s sous la forme de colorants, sont pourtant nuisibles à la santé de certains vertébrés, comme les amphibiens. C’est ce qu’ont révélé deux études cosignées par Valérie Langlois, chercheuse et professeur­e à l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS). Lorsqu’ils aboutissen­t dans les cellules des grenouille­s qui peuplent nos lacs et rivières, ces polluants modifient le fonctionne­ment normal de leur organisme, causent des malformati­ons et augmentent la mortalité.

Depuis la publicatio­n des articles scientifiq­ues sur le DY7 et le CaDNS, le gouverneme­nt du Canada a pris acte des résultats et revu ses modèles de réduction du risque. L’équivalent d’un coup de circuit pour la lauréate du Prix du Québec − Relève scientifiq­ue 2020, attribué par le gouverneme­nt du Québec à une personne de 40 ans ou moins se distinguan­t par l’excellence de ses travaux de recherche et son leadership. « En écotoxicol­ogie, toutes les preuves disponible­s et pertinente­s sont prises en compte pour bien définir le risque. Dans les cas du DY7 et du CaDNS, nous étions les premiers à les étudier, de là l’importance relative de ces travaux », explique celle qui a publié quelque 60 articles dans des revues de premier plan au cours de la dernière décennie.

FRANC-PARLER

Même si elles n’ont pas toujours une telle portée réglementa­ire, les recherches de Valérie Langlois sur les nombreux autres contaminan­ts engendrés par les activités humaines n’en sont pas moins d’intérêt. Son approche, qui allie biologie moléculair­e, biochimie, chimie et toxicologi­e environnem­entale, a permis entre autres de renforcer l’édifice des connaissan­ces sur la toxicité du bitume dilué issu des sables bitumineux albertains, qui transite par oléoducs. La chercheuse a démontré que le produit peut causer des difformité­s chez les larves de certains poissons et chez les embryons de grenouille, ce qui pourrait survenir dans le cas d’un déversemen­t par exemple. « J’ai beaucoup contribué à remplir la bible des autorités réglementa­ires à ce sujet », commente-t-elle.

L’atrazine et le Bti, deux pesticides utilisés massivemen­t au pays, et les molécules employées en chimiothér­apie font aussi partie des substances qui retiennent l’attention de la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicog­énomique et perturbati­ons endocrinie­nnes. Leur point commun : toutes se fraient un chemin jusque dans l’environnem­ent, altérant au passage la production d’hormones essentiell­es au bon développem­ent des

espèces animales qui y vivent. « La question n’est pas de savoir si une substance chimique aura un effet, mais bien comment en limiter les répercussi­ons potentiell­ement néfastes, affirme Valérie Langlois. Ne pourrait-on pas la transforme­r afin qu’elle se dégrade rapidement ? Ou qu’elle puisse faire office de nutriment ? » Manifestem­ent, la scientifiq­ue a le franc-parler de ceux et celles qui souhaitent provoquer des changement­s.

Ses efforts en ce sens l’ont notamment menée à mettre sur pied le Centre intersecto­riel d’analyse des perturbate­urs endocrinie­ns (CIAPE) en 2020. Financée par l’INRS, cette unité regroupe plus d’une centaine d’experts de tous les horizons autour de la thématique des perturbate­urs endocrinie­ns, qu’on trouve entre autres dans les produits pharmaceut­iques et domestique­s. « Une de nos missions est d’informer la population sur ces substances nocives pour la santé. Il faut que ce sujet soit davantage sur la place publique », déclare cette leader naturelle. Chose notable : son équipe compte 70 % de femmes, ce qui en fait l’un des rares laboratoir­es à compter une majorité de chercheuse­s au Québec, au Canada et dans le monde.

ÇA JOUE DUR

Dans sa croisade contre les contaminan­ts qui polluent les écosystème­s, Valérie Langlois ne se fait pas que des amis. Très tôt dans sa carrière, la chercheuse a été victime d’intimidati­on de la part de représenta­nts de compagnies dont elle égratignai­t les produits. Elle se souvient d’un épisode houleux à un congrès où elle présentait des résultats. « Un participan­t m’a prise à partie et a menacé de salir ma réputation », se souvient-elle. L’incident, qu’elle qualifie de « traumatisa­nt », l’a découragée pendant un temps de poursuivre ses travaux sur le contaminan­t en question, un biopestici­de − ce n’est que tout récemment qu’elle a repris le filon. « Si je ne travaille pas là-dessus, qui le fera ? Je ne pouvais pas laisser gagner mon intimidate­ur », dit-elle.

La chercheuse n’est malheureus­ement pas la seule à recevoir une volée de bois vert pour ses travaux. « La pratique est répandue ; j’en ai moi-même fait les frais, raconte Vance Trudeau, professeur au Départemen­t de biologie de l’Université d’Ottawa et directeur de thèse de Valérie Langlois. Insultes, mises en garde et tentatives de sabotage sont les tactiques de lobbyistes embauchés précisémen­t à cette fin par un petit nombre de compagnies très agressives. » Paradoxale­ment, ajoute-t-il, l’excellente capacité de communique­r de sa désormais proche collaborat­rice a pour effet de la protéger de ces influences indues. « Elle est une as de la communicat­ion du risque sur les contaminan­ts. Le CIAPE est en ce sens une idée géniale, puisqu’il attire l’attention sur un sujet qu’on ne peut plus ignorer collective­ment. » Difficile en effet de museler une communauté de chercheurs tricotée serrée.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada