La droite est-elle si crédule?
J’ai toujours tiqué sur l’idée, très répandue, que les gens de droite seraient plus vulnérables aux fausses nouvelles que les centristes et les gauchistes. D’abord parce que je me suis toujours méfié des commentaires qui lient les penchants politiques à des traits psychologiques. Ces liens-là peuvent exister, je ne le nie pas. Mais trop souvent, on s’en sert pour décrire comme des « maladies » des idées avec lesquelles on est en désaccord.
Ensuite parce que, comme journaliste scientifique, j’ai vu bien des faussetés persister tant à droite qu’à gauche au fil des années. Le mythe de la toxicité des OGM, par exemple, n’a rien de particulièrement conservateur. En 2015, un sondage mené pour le Pew Research Center, aux États-Unis, a révélé que 56 % des électeurs démocrates pensaient que les OGM sont mauvais pour la santé − ce qui est complètement faux − contre 51 % des républicains. D’autres travaux ont montré que le fait d’être conservateur ou progressiste ne change rien au sentiment antivaccin : c’est le fait d’être extrémiste qui compte.
Or, je vais peut-être devoir changer (un peu) d’idée. Une étude − possiblement la meilleure que j’ai vue sur le sujet − est parue en juin dernier dans Science Advances. Pendant six mois, en 2019, ses auteurs ont scruté les réseaux sociaux afin d’en tirer les 20 « nouvelles » politiques les plus virales toutes les deux semaines − 10 vraies et 10 fausses chaque fois. Puis, ils les ont soumises à un échantillon de 1 200 Américains qui devaient se prononcer sur la véracité de chacune. En moyenne, les plus conservateurs croyaient à plus de faussetés (5 ou 6 sur 10) que les plus progressistes (2 ou 3 sur 10) et adhéraient à moins de vérités, soit environ 7 sur 10, contre 8 pour les gens les plus à gauche.
Cependant, et c’est ici que cette étude devient vraiment éclairante, ses auteurs − R. Kelly Garrett et Robert Bond, de l’Université d’État de l’Ohio − ont également relevé un énorme biais de l’« écosystème médiatique » américain : parmi les affirmations vraies véhiculées sur les réseaux sociaux, pas moins de 65 % favorisaient le Parti démocrate, contre seulement 10 % de vérités qui faisaient l’affaire des républicains. Les 25 % restants étaient considérés comme « neutres ». À l’inverse, près de la moitié (46 %) des faussetés rapportées par l’étude étaient favorables à la droite, soit deux fois plus que la proportion des fausses nouvelles qui faisaient bien paraître la gauche (23 %).
« Les résultats constamment mauvais des conservateurs lorsque vient le temps de distinguer le vrai du faux semblent s’expliquer en grande partie par […] le flot de désinformation favorable à la droite », concluent les auteurs. En d’autres termes, les conservateurs ne seraient pas tellement plus naïfs que les autres, ils seraient surtout plus souvent exposés à des faussetés (et moins souvent à des vérités) qui confortent leur vision.
L’étude a également mis en lumière que la réaction des uns et des autres aux nouvelles défavorables « n’est pas aussi simple que les théories passées pourraient le laisser entendre ». Ainsi, on pensait que les gens de droite avaient une forte tendance à percevoir comme des menaces les nouvelles négatives pour eux, alors que les données indiquent que ce réflexe n’est finalement pas si répandu chez eux.
Autre point majeur : l’étude a montré que, même en limitant l’effet de l’environnement médiatique et d’autres variables, les républicains étaient plus susceptibles de croire en la désinformation. « Il semble de plus en plus probable que cela provient, du moins en partie, de différences psychologiques individuelles associées au conservatisme », écrivent les auteurs. Si, par exemple, les gens plus à droite sont en moyenne − j’insiste : en moyenne parce qu’il y a toutes sortes d’individus qui sont conservateurs − moins ouverts d’esprit et ont plus de difficulté à se laisser convaincre par de nouveaux faits, cela implique qu’ils se corrigent moins que la moyenne et qu’ils pourraient, au fil de temps, accumuler plus de fausses croyances.
Il semble donc que je vais devoir changer d’idée : il y aurait bel et bien un fond de vérité à ces histoires de vulnérabilité plus grande des conservateurs aux fausses nouvelles. Ce n’est pas la caricature de la droite crédule qui circule fréquemment dans les médias, mais je ne pourrai plus dire que c’est un biais méthodologique.