Quebec Science

Allumez le cortex moteur !

Neural DRIVE souhaite aider des personnes blessées à la moelle épinière à marcher de nouveau en envoyant des impulsions électrique­s dans leur cerveau.

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Faire un pas en avant ne tient souvent qu’à un fil. Un fil de communicat­ion, en fait, que constitue la moelle épinière. Celui-ci transmet les influx nerveux du cerveau jusqu’aux muscles des jambes. Mais une vilaine chute ou un bête accident de voiture peut la sectionner. Le signal est alors altéré, voire ne se rend plus. Près de 86 000 personnes au pays vivent ainsi avec une lésion à la moelle épinière, aussi appelée « lésion médullaire », selon les chiffres de l’Institut Rick Hansen. Cette blessure entraîne souvent une difficulté à se déplacer, quand ce n’est pas la paralysie d’un ou de plusieurs membres.

Néanmoins, lorsque la lésion est partielle, comme dans environ 70 % des cas, certains liens entre des neurones subsistent et peuvent se réorganise­r grâce à la neuroplast­icité. « On peut mobiliser tout un tas de connexions résiduelle­s, qui pourront transmettr­e de l’informatio­n extrêmemen­t précise de la même manière que par les voies directes », explique Marina Martinez, professeur­e de neuroscien­ces à l’Université de Montréal.

Reste à aider le système nerveux à trouver un nouveau chemin entre ces relais pour véhiculer son signal. Avec le postdoctor­ant Marco Bonizzato, Marina Martinez a conçu une approche prometteus­e pour y arriver. Au moment de lever le pied paralysé, des électrodes implantées sous le crâne envoient des impulsions électrique­s directemen­t à la surface du cortex moteur, la partie du cerveau qui orchestre les mouvements volontaire­s du corps. « L’idée est que, si on le cible, on a plus de chances de réorganise­r tout ce système pour réinstaure­r une communicat­ion entre des structures qui ne se parlent plus », dit la professeur­e. L’équipe a breveté sa technologi­e avant de publier ses résultats expériment­aux sur des rats dans Science Translatio­nal Medicine en mars 2021.

C’est un véritable programme de physiothér­apie qu’elle a imposé à des rongeurs blessés à la moelle épinière. Traînant une patte en raison d’une lésion, ils ont dû marcher sur un tapis roulant 30 minutes par jour pendant trois semaines. Certains d’entre eux étaient munis de capteurs. Ces derniers permettaie­nt de coordonner avec leur mouvement le moment où une puce dotée de 32 électrodes envoyait dans le cortex moteur une série de brèves impulsions électrique­s à l’intérieur de 40 millisecon­des. La patte se soulevait instantané­ment et le rat redressait sa posture.

« On ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi efficace pour la récupérati­on à long terme », observe Marina Martinez. Quatre semaines après l’arrêt du programme, les rongeurs qui avaient été entraînés avec le dispositif se montraient plus habiles avec leur membre auparavant paralysé, même dans des épreuves qui ne figuraient pas dans l’expérience. Sur un grillage, leurs pattes arrière se déposaient au bon endroit pour s’agripper au barreau, tandis que celles des rats du groupe témoin glissaient toujours dans les fentes. « On s’est aperçus qu’on avait un transfert de compétence­s vers une autre tâche qu’ils n’avaient pas apprise, souligne la chercheuse. Donc, ça améliore la récupérati­on volontaire du mouvement. »

JUSQU’À LA MOELLE

L’équipe n’est pas la seule à vouloir améliorer à l’aide d’électrodes la réadaptati­on des personnes vivant avec une lésion médullaire. Mais la plupart des chercheurs en implantent directemen­t dans la moelle épinière. Les travaux de Grégoire Courtine, fondateur de l’entreprise Onward et professeur à l’École polytechni­que fédérale de Lausanne, sont célèbres pour avoir permis à des paraplégiq­ues de marcher de nouveau. C’est d’ailleurs sous sa supervisio­n que Marco Bonizzato a effectué son doctorat et élaboré un autre dispositif décrit en 2018 dans Nature Communicat­ions. Celui-ci reliait une puce, qui enregistra­it l’activité cérébrale de rats paralysés, à des électrodes placées dans leur moelle épinière. Pour bien distinguer le processus, Marco Bonizzato prend l’analogie d’une voie bloquée sur un pont. « Ce que je faisais en Suisse, c’était comme construire un autre pont pour régler le problème, dit-il. Maintenant, le projet consiste à indiquer aux voitures par où

elles peuvent passer sur le reste du pont, comme par une voie réservée aux autobus. »

Convaincu du potentiel clinique de sa nouvelle technologi­e chez l’humain, il amorce en 2019 les démarches pour créer une entreprise baptisée Neural DRIVE avec Marina Martinez et l’aide du Centre d’entreprene­uriat de l’Université de Montréal. La jeune pousse est ensuite entrée dans les accélérate­urs d’entreprise­s Centech et Next AI, où elle est toujours épaulée. « Le but est d’aider les gens le plus rapidement possible », mentionne Julien Roy, diplômé de HEC Montréal, qui a rejoint son ami Marco Bonizzato dans l’aventure. Le trio espère amorcer des études cliniques chez l’humain deux ans après avoir obtenu un financemen­t suffisant, puis commercial­iser sa solution dans un délai de huit ans. L’équipe a déjà décroché près de 200 000 $ de subvention­s, en grande partie versées par IVADO (l’Institut de valorisati­on des données) et l’Institut TransMedTe­ch.

Implanter une puce à l’intérieur du crâne d’un humain ne relève-t-il pas de la science-fiction ou d’un rêve d’Elon Musk ? Plus de 100 000 personnes souffrant de la maladie de Parkinson gèrent leurs tremblemen­ts avec une électrode implantée dans une partie du cerveau beaucoup plus profonde que le cortex, rappelle Marco Bonizzato. L’équipe envisage aussi d’expériment­er d’autres techniques moins invasives, comme la stimulatio­n transcrâni­enne, toujours en coordinati­on avec le mouvement. Marina Martinez explorera ces approches sans implant avec des animaux dans son laboratoir­e.

Marco Bonizzato, pour sa part, travaille avec d’autres collègues de l’Université de Montréal sur des algorithme­s à l’aide de modèles animaux pour que le dispositif s’adapte en temps réel selon les avancées en réadaptati­on du patient − et, ainsi, n’ait plus besoin de plusieurs séances pour paramétrer les fréquences et l’amplitude des impulsions électrique­s. Avec ses multiples projets en cours, Neural DRIVE semble déterminée à progresser à grands pas.

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De gauche à droite, Marco Bonizzato, Marina Martinez et Julien Roy

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