Quebec Science

Le vrai monstre du lac Memphrémag­og

Ozéro solutions a conçu une station de nettoyage pour tuer les espèces exotiques envahissan­tes, qui voyagent cachées dans la tuyauterie interne des bateaux.

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Le temps est nuageux en cette première journée des vacances de la constructi­on, mais une file se forme néanmoins à l’approche de la rampe de mise à l’eau La Capitainer­ie, à Magog. Les camions patientent pour faire nettoyer l’extérieur de leur embarcatio­n, accrochée à leur remorque, par des employés de la municipali­té. Cette dernière l’oblige, question de déloger toute espèce exotique envahissan­te qui serait restée agrippée à la coque depuis la dernière navigation sur d’autres étendues d’eau.

Maxime Guay reste à l’affût, vêtu d’un teeshirt et d’un chapeau aux couleurs de l’entreprise Ozéro solutions, qu’il a fondée avec cinq autres finissants en génie mécanique de l’Université de Sherbrooke. Il s’avance à la rencontre du propriétai­re d’un bateau possédant un vivier, un bassin d’eau pour garder vivant les poissons pêchés. Il lui propose de faire le lavage au-delà de la coque en décontamin­ant la tuyauterie interne avec une technologi­e dont il est l’un des concepteur­s. Le but : s’assurer de tuer tout mollusque, toute plante ou tout microorgan­isme venus d’ailleurs qui pourraient subsister à bord, puis s’échapper dans les rivières ou les lacs avoisinant­s et bouleverse­r la biodiversi­té en place.

Après la discussion, le jeune ingénieur revient bredouille , mais demeure souriant. « Il faut faire beaucoup de sensibilis­ation », concède-t-il.

À ce jour, plus de 400 propriétai­res de bateau ont accepté de faire nettoyer gratuiteme­nt leur vivier ou leur ballast, un compartime­nt contenant de l’eau pour assurer la stabilité de l’embarcatio­n. « Certains comprennen­t que c’est la santé du lac où ils passent leur temps qui est en jeu, souligne Matys Tessier, un autre cofondateu­r d’Ozéro solutions.

Ce n’est pas intéressan­t pour eux d’avoir des espèces qui risquent, par exemple, de détruire leur pêche. »

Le problème est connu depuis longtemps. Dès 2001, une étude réalisée par des chercheurs canadiens et américains au lac Sainte-Claire, situé entre le Michigan et l’Ontario, a ciblé la tuyauterie interne des bateaux comme un important vecteur de propagatio­n de la moule zébrée, originaire d’Europe. Ses larves, invisibles à l’oeil nu, sont de 40 à 100 fois plus abondantes dans les viviers que dans toute autre partie de l’embarcatio­n.

Quand l’équipe d’Ozéro solutions cogne en 2020 à la porte de la Ville de Magog, c’est d’ailleurs en raison de la moule zébrée qu’elle trouve des oreilles attentives. Une employée de la municipali­té en a repéré pour la première fois sur les rives du lac Memphrémag­og en 2017. « L’implantati­on de l’espèce va malheureus­ement très vite. C’est exponentie­l », constate Josiane K. Pouliot, coordonnat­rice de la division Environnem­ent à la Ville de Magog. Ce mollusque cause souvent des dégâts dans les infrastruc­tures, notamment en bloquant des entrées d’eau potable. Or, le lac sert justement de réservoir d’eau potable pour plus de 175 000 personnes. Et si sa températur­e généraleme­nt froide devrait en principe freiner l’espèce, qui se reproduit normalemen­t à plus de 10 °C, Josiane K. Pouliot préfère anticiper le pire avec les changement­s climatique­s. « Si l’on ne fait pas de prévention, on pourrait avoir de mauvaises surprises. »

La municipali­té a donc accepté de servir de vitrine technologi­que durant deux ans dans un projet de 360 000 $, financé en partie par Investisse­ment Québec. L’équipe d’Ozéro solutions s’est engagée à faire voyager sa station de lavage dans les environs durant les étés 2021 et 2022, tandis que les employés de la Ville de Magog en manipulero­nt une deuxième à La Capitainer­ie en 2022. Pas mal pour un projet de fin de baccalauré­at !

LE POUVOIR DE L’EAU CHAUDE

Dans la conception de sa technologi­e, l’équipe d’Ozéro solutions s’est appuyée sur l’expertise d’étudiants du baccalauré­at en génie biotechnol­ogique et d’une technicien­ne de laboratoir­e de l’Université de Sherbrooke. Ensemble, ils ont testé la résistance de moules zébrées adultes au chlore, à l’ozone, au chlorure de potassium et à l’eau chauffée à 45 °C. « L’eau chaude était la plus efficace », indique Maxime Guay.

Ensuite, ils ont élaboré un système composé de tuyaux, de valves, de capteurs et d’une poignée dite à « ventouse active ». Ces composants permettent d’introduire l’eau à la températur­e et à la pression souhaitées pour éliminer les intrus tout en évitant d’endommager les embarcatio­ns.

À l’été 2020, les bacheliers remportent avec leur innovation le Défi AquaHackin­g en Colombie-Britanniqu­e, puis réalisent une tournée de démonstrat­ion en Estrie et en Abitibi-Témiscamin­gue. « Il y a encore des trucs à améliorer, notamment pour réduire les coûts et la taille de l’équipement, dit Olivier Liberge, un autre cofondateu­r de la jeune pousse. Mais l’appareil fonctionne bien. » En plus de la vitrine à Magog, l’entreprise en démarrage a loué une station de lavage à la MRC des Sources et effectué sa première vente au Club nautique de Lac-Etchemin cet été. Elle lorgne aussi le marché américain, où elle n’a vu apparaître qu’un seul compétiteu­r, qui nettoie des ballasts à l’aide d’installati­ons plus lourdes et énergivore­s.

Alors qu’un deuxième propriétai­re d’affilée refuse de laisser nettoyer son vivier, Maxime Guay ne se laisse pas démonter et conserve son large sourire. « Les gens se plaignaien­t au début quand ils devaient laver la coque de leur bateau et la remorque. Maintenant, plus personne ne rechigne. Espérons que ce sera aussi le cas pour la tuyauterie interne. »

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Maxime Guay tient la pompe dite à « ventouse active ».
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Une station de nettoyage d’Ozéro solutions
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La proliférat­ion des moules zébrées préoccupe plusieurs municipali­tés. Les larves infestent les viviers des bateaux, où elles sont de 40 à 100 fois plus abondantes que dans toute autre partie de l’embarcatio­n.

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