CHALK RIVER EN 2021
Même si le réacteur de recherche NRU a fermé en 2018, ce qui a stoppé définitivement la production commerciale d’isotopes médicaux qui faisait sa renommée, les installations de Chalk River sont toujours grouillantes de vie.
Quelque 2 700 personnes y travaillent. « C’est un peu comme une ville ici : on a pratiquement tous les métiers », dit Patrick Quinn, directeur des communications des Laboratoires nucléaires canadiens (LNC). Sur les trottoirs reliant les divers bâtiments, on peut croiser aussi bien un charpentier, un souffleur de verre, un pompier, un technicien en gestion des eaux qu’un scientifique.
Environ 900 employés travaillent à la gestion des déchets et à la réhabilitation du territoire. Ce groupe comprend ceux et celles qui veillent au démantèlement des bâtiments et réacteurs qui ont fini leur carrière. Le directeur général du déclassement et de la remédiation environnementale, Kristan Schruder, me fait visiter le bâtiment du NRX. Son équipe évalue présentement quels éléments doivent être considérés comme des déchets actifs, et de quel niveau le cas échéant, et quels autres peuvent être recyclés ou envoyés dans un dépotoir traditionnel.
Sur le mur de la cage d’escalier, un trait est tiré du sol au plafond à tous les mètres. Entre chaque trait, il est inscrit si des radiations alpha ou bêta surpassent la norme (tout semble dans l’ordre !). « Le déclassement, c’est comme l’émission CSI, explique M. Schruder. Une partie de notre travail consiste à comprendre ce qui est arrivé dans le passé pour nous assurer de bien gérer les matériaux. » Beaucoup plus de temps est accordé à tout ce travail qu’à la démolition elle-même !
La salle de contrôle est encore intacte. Certains systèmes sont d’ailleurs toujours en activité, comme la ventilation et certains outils de surveillance. Le réacteur aussi est entier. « On n’a pas encore l’autorisation de le toucher », dit Kristan Schruder. Le bâtiment devrait disparaître d’ici 2035. Le NRU subira le même sort un jour.
Un autre projet occupe les équipes : l’installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS). Il s’agit d’un endroit pour entreposer pendant des centaines d’années les déchets faiblement contaminés accumulés au fil des ans dans différentes zones du vaste territoire qui sépare la guérite des laboratoires. George Dolinar, directeur des services environnementaux, indique que l’IGDPS « représente une amélioration : on passera du simple entreposage à des installations permanentes ». La Commission canadienne de sûreté nucléaire doit tenir une audience publique sur le projet en 2022.
Évidemment, l’IGDPS ne fait pas l’unanimité. Des résidants, des militants et des maires de villes en aval s’inquiètent de potentielles fuites vers la rivière, qui se trouve à un kilomètre de l’emplacement choisi.
Des experts de Chalk River réfléchissent en parallèle à des solutions pour les déchets de niveau intermédiaire, mais le plan n’est pas fixé. Pour ce qui est des rebuts à la radioactivité élevée, un projet de dépôt géologique en profondeur est porté par la Société de gestion des déchets nucléaires. Aucun échéancier n’est encore avancé.
De nouveaux bâtiments sont apparus sur « le campus » récemment, tandis que d’autres sont en construction pour répondre à la « Vision 2030 » des LNC. Un budget de 1,2 milliard de dollars est consacré à la revitalisation de l’endroit pour qu’il demeure un lieu de recherche de pointe.
Bien sûr, l’énergie est au menu. Ainsi, l’l’hydrogène retient l’attention dans ce bâtiment « qui a l’air d’une pieuvre », pointe la chef de direction de la division Durabilité des réacteurs Rosaura Ham-Su, en raison des conduits argentés qui descendent du toit. « La garde côtière aimerait beaucoup changer sa façon d’alimenter ses bateaux par exemple. Elle est surtout intéressée par l’hydrogène. »
Les petits réacteurs modulaires sont également à l’étude. Il s’agit d’un format réduit pour la production d’énergie qui pourrait être employé en région éloignée, comme dans le Grand Nord. Le concept, encore émergent, suscite l’intérêt partout dans le monde, surtout que des modèles permettent de « recycler » du combustible déjà utilisé.
Dans un bâtiment tout récent se trouve un générateur capable de produire un nouvel isotope médical aussi prometteur que rare : l’actinium 225. Ce générateur consiste en un petit tube cylindrique contenant du thorium qu’on « trait » (comme une vache !) toutes les deux semaines, c’est-à-dire qu’on en extrait une solution de radium et d’actinium. Ce dernier élément est un composé radioactif au coeur d’un nouveau traitement anticancer appelé « alpha-immunothérapie », pour lequel plusieurs essais cliniques sont en cours.
Pour que le traitement fonctionne, « il faut préparer un isotope de haute qualité, vraiment pur, sans contamination. Or, il est très difficile de produire de l’actinium 225 et encore plus d’une haute qualité », signale Marie-Claude Grégoire, chef de direction de la division Isotopes, radiobiologie et environnement aux LNC. Son groupe s’y consacre, en plus de se pencher sur la dosimétrie et les effets des faibles radiations sur les organismes vivants.