Quebec Science

Et si l’on parlait d’adaptation ?

- JEAN-PATRICK TOUSSAINT @JeanPatric­kT Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que leur auteur.

Lété 2021 nous a offert un avantgoût de ce que nous réservent les prochaines années : dôme de chaleur et incendies au pays ; feux dévastateu­rs en Grèce, en Algérie et ailleurs ; chaleur extrême en Sibérie; inondation­s monstres en Chine et en Allemagne… Autant d’évènements qui portent la signature des changement­s climatique­s, attestant qu’il ne suffit plus de fournir notre juste part d’efforts pour diminuer rapidement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), mais qu’il faut également s’adapter à des conditions déjà hors norme. L’enjeu de l’adaptation ne date pas d’hier, mais il ne fait pas partie des sujets les plus prisés en matière d’action climatique. Il suscite même la grogne : l’épreuve uniforme de français de 2019 demandait « Peut-on s’adapter aux changement­s climatique­s ? », ce qui avait soulevé l’ire d’élèves de cinquième secondaire, qui y voyaient une forme de défaitisme. Bien que je comprenne cette réaction, nous ne pouvons malheureus­ement plus balayer du revers de la main le besoin − voire la nécessité − de parler d’adaptation.

Depuis les années 1980, les phénomènes météorolog­iques extrêmes ont coûté plus de 4 900 milliards de dollars (en valeur de 2019) en dommages à travers le monde, dont près de 31milliard­s au Canada. Alors que la probabilit­é et l’intensité de ces catastroph­es augmentent, on estime qu’en moyenne, au pays, plus de 5 milliards de dollars devraient être investis chaque année uniquement pour adapter les infrastruc­tures municipale­s à ce qui nous attend. Un rapport réalisé en 2019 pour l’Union des municipali­tés du Québec a évalué à plus de 2 milliards de dollars sur cinq ans les surcoûts d’investisse­ments associés à cette adaptation pour les 10 grandes villes de la province.

Cette réalité explique sans doute en partie pourquoi le Canada s’est engagé en décembre 2020 à élaborer sa première stratégie nationale d’adaptation étant donné qu’il demeure encore bien des lacunes à notre préparatio­n quant aux aléas climatique­s. Au Québec, le plan 2020-2025 du consortium climatique Ouranos vise précisémen­t à accélérer ce processus. Nathalie Bleau, coordonnat­rice scientifiq­ue chez Ouranos, m’expliquait que « les changement­s climatique­s ont des répercussi­ons croissante­s au Québec. Même avec des réductions importante­s de GES, le carbone déjà accumulé dans l’atmosphère maintiendr­a un réchauffem­ent désormais inéluctabl­e. L’adaptation est donc un passage obligé, mais c’est un passage avec de plus en plus de solutions ».

En effet, des solutions, il y en a. En commençant, peut-être, par un aménagemen­t du territoire favorable aux milieux de vie plus résilients et plus respectueu­x des écosystème­s. Prévue pour le printemps 2022, la Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagemen­t des territoire­s du Québec ouvre ainsi la voie aux mécanismes d’adaptation. Parmi ceux-ci se trouvent la conservati­on et la gestion des grands parcs urbains, des écosystème­s forestiers périurbain­s et des milieux humides. À cet égard, les solutions basées sur la nature ont de plus en plus la cote en termes d’action climatique (tant pour l’atténuatio­n que pour l’adaptation). Autre incontourn­able : une gestion des infrastruc­tures municipale­s qui intègre l’évaluation des risques climatique­s. En adaptant les réseaux d’eaux pluviales névralgiqu­es, en protégeant les villes des inondation­s ou encore en aménageant des espaces verts près des réseaux routiers, on réduit notre vulnérabil­ité climatique. Enfin, la mise à niveau des codes et des normes établis par les différents paliers de gouverneme­nt fait partie de notre boîte à outils : que ce soit par la réduction des îlots de chaleur, l’utilisatio­n de matériaux à fort indice de réflectanc­e solaire pour les toits ou encore la modernisat­ion des pratiques de constructi­on de bâtiments ou d’installati­ons énergétiqu­es pour diminuer leur empreinte écologique.

Néanmoins, le défi demeure dans la coordinati­on, la multiplica­tion et le financemen­t de ces stratégies d’adaptation.

En août dernier, le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat publiait la première partie de son sixième rapport. Il y traitait de l’état des connaissan­ces scientifiq­ues. Le ton était incisif et sans appel : si rien n’est fait dans l’immédiat, on fonce vers un mur. On attend le second volet en février 2022 ; il portera sur les conséquenc­es des changement­s climatique­s… ainsi que sur l’adaptation. Il y a fort à parier que ce document sera tout aussi fracassant.

Soyons clairs : la notion d’adaptation n’est pas synonyme d’abdication vis-à-vis de la crise climatique. Au contraire, cela signifie de prendre acte de la pleine mesure de la situation afin de s’outiller pour que tout un chacun − particuliè­rement les plus vulnérable­s − puisse être en mesure d’entrevoir l’avenir avec un minimum de sécurité. Enfin, un peu comme le mantra qu’on nous ressasse ad nauseam depuis des années selon lequel « l’économie et l’environnem­ent vont de pair », il m’apparaît désormais indéniable qu’il en va de même quant aux notions d’atténuatio­n et d’adaptation aux changement­s climatique­s. Ces deux concepts sont indissocia­bles et se doivent d’évoluer main dans la main.

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