Et si l’on parlait d’adaptation ?
Lété 2021 nous a offert un avantgoût de ce que nous réservent les prochaines années : dôme de chaleur et incendies au pays ; feux dévastateurs en Grèce, en Algérie et ailleurs ; chaleur extrême en Sibérie; inondations monstres en Chine et en Allemagne… Autant d’évènements qui portent la signature des changements climatiques, attestant qu’il ne suffit plus de fournir notre juste part d’efforts pour diminuer rapidement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), mais qu’il faut également s’adapter à des conditions déjà hors norme. L’enjeu de l’adaptation ne date pas d’hier, mais il ne fait pas partie des sujets les plus prisés en matière d’action climatique. Il suscite même la grogne : l’épreuve uniforme de français de 2019 demandait « Peut-on s’adapter aux changements climatiques ? », ce qui avait soulevé l’ire d’élèves de cinquième secondaire, qui y voyaient une forme de défaitisme. Bien que je comprenne cette réaction, nous ne pouvons malheureusement plus balayer du revers de la main le besoin − voire la nécessité − de parler d’adaptation.
Depuis les années 1980, les phénomènes météorologiques extrêmes ont coûté plus de 4 900 milliards de dollars (en valeur de 2019) en dommages à travers le monde, dont près de 31milliards au Canada. Alors que la probabilité et l’intensité de ces catastrophes augmentent, on estime qu’en moyenne, au pays, plus de 5 milliards de dollars devraient être investis chaque année uniquement pour adapter les infrastructures municipales à ce qui nous attend. Un rapport réalisé en 2019 pour l’Union des municipalités du Québec a évalué à plus de 2 milliards de dollars sur cinq ans les surcoûts d’investissements associés à cette adaptation pour les 10 grandes villes de la province.
Cette réalité explique sans doute en partie pourquoi le Canada s’est engagé en décembre 2020 à élaborer sa première stratégie nationale d’adaptation étant donné qu’il demeure encore bien des lacunes à notre préparation quant aux aléas climatiques. Au Québec, le plan 2020-2025 du consortium climatique Ouranos vise précisément à accélérer ce processus. Nathalie Bleau, coordonnatrice scientifique chez Ouranos, m’expliquait que « les changements climatiques ont des répercussions croissantes au Québec. Même avec des réductions importantes de GES, le carbone déjà accumulé dans l’atmosphère maintiendra un réchauffement désormais inéluctable. L’adaptation est donc un passage obligé, mais c’est un passage avec de plus en plus de solutions ».
En effet, des solutions, il y en a. En commençant, peut-être, par un aménagement du territoire favorable aux milieux de vie plus résilients et plus respectueux des écosystèmes. Prévue pour le printemps 2022, la Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires du Québec ouvre ainsi la voie aux mécanismes d’adaptation. Parmi ceux-ci se trouvent la conservation et la gestion des grands parcs urbains, des écosystèmes forestiers périurbains et des milieux humides. À cet égard, les solutions basées sur la nature ont de plus en plus la cote en termes d’action climatique (tant pour l’atténuation que pour l’adaptation). Autre incontournable : une gestion des infrastructures municipales qui intègre l’évaluation des risques climatiques. En adaptant les réseaux d’eaux pluviales névralgiques, en protégeant les villes des inondations ou encore en aménageant des espaces verts près des réseaux routiers, on réduit notre vulnérabilité climatique. Enfin, la mise à niveau des codes et des normes établis par les différents paliers de gouvernement fait partie de notre boîte à outils : que ce soit par la réduction des îlots de chaleur, l’utilisation de matériaux à fort indice de réflectance solaire pour les toits ou encore la modernisation des pratiques de construction de bâtiments ou d’installations énergétiques pour diminuer leur empreinte écologique.
Néanmoins, le défi demeure dans la coordination, la multiplication et le financement de ces stratégies d’adaptation.
En août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publiait la première partie de son sixième rapport. Il y traitait de l’état des connaissances scientifiques. Le ton était incisif et sans appel : si rien n’est fait dans l’immédiat, on fonce vers un mur. On attend le second volet en février 2022 ; il portera sur les conséquences des changements climatiques… ainsi que sur l’adaptation. Il y a fort à parier que ce document sera tout aussi fracassant.
Soyons clairs : la notion d’adaptation n’est pas synonyme d’abdication vis-à-vis de la crise climatique. Au contraire, cela signifie de prendre acte de la pleine mesure de la situation afin de s’outiller pour que tout un chacun − particulièrement les plus vulnérables − puisse être en mesure d’entrevoir l’avenir avec un minimum de sécurité. Enfin, un peu comme le mantra qu’on nous ressasse ad nauseam depuis des années selon lequel « l’économie et l’environnement vont de pair », il m’apparaît désormais indéniable qu’il en va de même quant aux notions d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Ces deux concepts sont indissociables et se doivent d’évoluer main dans la main.